Le troisième âge est finalement peu traité en trame principale au cinéma : c’est généralement une toile de fond, un écho aux protagonistes dans la fleur de l’âge. Dans 45 ans, titre renvoyant à un anniversaire, certes, mais de mariage, la génération d’après n’a pas sa place. Vieux couple sans enfant, le (formidable) tandem Courtenay/Rampling vit du quotidien de cet âge : sexualité en berne, rituels immuables, habitudes tenaces, agacements réciproques ou complicité apparemment à toute épreuve.
L’heure de la célébration approche, indice supplémentaire de l’importance du protocole. Tout est réglé, de la disposition des tables aux choix des musiques. On devise sur les photos, absentes de la maison, sans doute faute d’enfants. Insidieusement, l’heure des bilans s’impose : la réunion des anciens collègues de l’usine, qu’on fustige mais à laquelle on se rend quand même, la fête à laquelle on se prête de plus ou moins mauvaise grâce : complices et victimes de cette grand-messe du temps qui e, les personnages jouent ce double jeu dévoilé ici avec une aridité presque extra lucide : cette distance affichée par rapport au commun des mortels, et ce besoin de se fondre tout de même dans la masse des humains, si vulnérables à leur heure dernière.
Sur cette triste comédie de l’âge, le récit va greffer une ultime coquetterie vénéneuse par le retour inattendu du é. Le mari apprend qu’on a retrouvé, 50 ans après, le corps de son premier amour prisonnier dans un glacier des alpes suisses ; et son épouse de prendre conscience qu’elle aura sans doute été toujours un second choix.
Point d’effusions et de ravages à la Cassavetes chez Andrew Haigh, qui revendiquerait sans doute davantage Bergman comme influence. Les colères sont rentrées, les non-dits omniprésents. Habile à capter l’oisiveté propre à cet âge et les temps morts vecteurs d’angoisses au long cours, le cinéaste évite à son couple les grandes scènes de bilan : des tiers s’en chargement maladroitement pour eux, de l’amie qui promet les larmes du mari lors de son discours, au maitre de cérémonie attendant l’attendrissement de circonstance de la foule des invités.
Une séquence maitresse, qui tranche avec la mise en scène assez sage, concentre tout le propos du récit : dans le grenier, l’épouse exhume des diapositives dans une projection au cadrage remarquable permettant, par transparence de la toile, de voir contement ce qu’elle contemple et son visage effaré éclairé par ces clichés révélateurs, scène terrible où la vie perdue irrigue la mort en attente de ceux qui sont restés en vie.
Résolument pessimiste, le film sait tirer parti d’une autre mise en scène que la sienne, celle des hommes : le contraste entre l’esprit festif et le regard terriblement dur de Charlotte Rampling lors de ce qui devrait être l’apothéose de la rédemption vaut non seulement tous les discours, mais les supplante, eux qui voulaient faire table rase du é aux yeux du monde.
L’apparence aura été sauve face aux invités. Mais le spectateur, lui, aura été convié à un regard autrement plus douloureux sur la vérité des êtres.
(6.5/10)