Polina, c'est une ligne. Une ligne en mouvement constant, une ligne qui ondule, s'épaissit, devient une tache sombre puis s'effile avec vivacité, s'arrondit, se fait caressante ou incisive. Polina, c'est quelques traits qui esquissent un petit visage buté, mâchoires crispées et lèvres serrées sur le mal au cœur des premières auditions. Quelques courbes qui définissent l'enfance, un dos un peu raide mais un corps qui ne démérite pas sous l’œil inquisiteur des professeurs. Tout au long des quelques deux cent planches qui composent le récit, le trait s'allonge en même temps que le corps de Polina s'affirme. La raideur des premières années s'efface, la ligne s'assouplit, la silhouette se délie. Tout en douceur, Bastien Vivès croque une Polina qui s'épanouit à mesure que son corps s'approprie l'espace.
Et qui mieux que lui aurait pu retranscrire avec autant de simplicité l'art complexe du geste parfait? Quelques années plus tôt il avait déjà décomposé, entre fluidité aquatique et rythme métronomique, les gestes hypnotiques de la nage. Son style, tout en économie de mots, tout en économie de traits, ne fait pourtant pas l'économie du mouvement. Réduits à l'essentiel, les corps ne s'en expriment que mieux. Sans académisme mais avec une précision surprenante Vivès donne vie à des corps tendus par l'effort, des corps tendus vers l'envol, des corps habités qui habitent leur espace avec une légèreté et une grâce aérienne.
Mais Polina est plus que le flux et le reflux rythmé d'un corps. Sous l'anatomique, il y a les vacillations d'un petit être en devenir, toutes ces petites variations de l'âme au gré des déconvenues et des opportunités, au fil des rencontres et des retrouvailles. Car si la danse est bien au centre du récit, le parcours du corps est aussi le parcours de l'âme. Débarrassé de la mièvrerie et de cette paradoxale raideur inhérente à la représentation de l'univers de la danse classique, loin des destinées toutes tracées des tutus vaporeux, Polina s'inscrit dans une toute autre catégorie. Sa trajectoire est plus sinueuse, à la fois banale et extraordinaire. Avec beaucoup de pudeur, Vivès construit une héroïne et une histoire très humaine, où le bouillonnement intérieur s’épanche dans l'effervescence des corps.
A travers la recherche du geste juste, Polina est en quête d'elle-même. Elle se façonne une identité forte qui s'exprimera par un art de la danse unique, personnel, émotionnel. Et on retrouve dans les choix d'expression de cette petite danseuse un peu de ce que recherchait Pina Bausch: une forme de ballet théâtralisé, de théâtre chorégraphié où le corps est l'écho de l'âme.