Dans le monde merveilleux du manga, les modes vont et viennent, les couleurs de cheveux muent, les coupes les plus improbables sont inventées, mais les meilleures ventes restent dominées par les mêmes titres, quitte parfois à se copier les uns et les autres.
Tout n’est pas à jeter dans cette surproduction éditoriale, et certains titres des plus classiques sont aussi des plus entraînants, c’est aussi ça la force du manga.
Mais à sa marge, que de pépites, que de défricheurs, des mangakas qui jouent avec les limites ou les repoussent, qui arrivent à créer des œuvres plus contre-courant ou plus dérangeantes. Un rapide coup d’oeil sur l’étal de mangas de la première librairie venue pourrait croire à une certaine uniformisation, bien au contraire, mais il faut parfois aller chercher des œuvres différentes ailleurs.
Palepoli est né sous une bonne étoile. Il a été prépublié dans le magazine Garo entre 1994 et 1996, célèbre revue d’avant-garde du manga adulte entre 1964 et 2002. La version reliée française met près de 15 ans pour atteindre cette surface du globe par les éditions IMHO, saluée par quelques exegètes et critiques, qui lui aura même permis d’être réeditée en 2020.
Pourtant son créateur Usamaru Furuya n’est alors qu’un débutant quand il commence Palepoli, et c’est de cette inexpérience qu’il va faire sa force. Peu à l’aise avec les standards de la production à grand tirage, il s’essaye au yonkoma, « manga en 4 cases », l’équivalent du comic-strip mais à lire verticalement, et donc essentiellement à usage humoristique. Les yonkomas sont le plus souvent dessinés dans un style clair et simplifié, pour une lecture divertissante, parfois anecdotique, à l’image de ceux qui clôturent parfois certains tomes de grandes séries (Fullmetal Alchemist, par exemple).
Mais Usamaru Furuya tord la conception générale et attendue du genre, pour s’aventurer vers des pages à la technicité certaine. Palepoli est d’abord un concentré de pop culture, que l’auteur parodie en recopiant les styles, s’aventurant vers un trait sombre et fouillis ou parfois plus épuré. C’est d’un grotesque assumé, au niveau de détails changeant, mais le plus souvent les pages sont noircies, avec un tramage diffus, d’un réalisme parfois inquiétant.
Palepoli n’est donc pas un hommage chantant à la pop culture, au contraire. Les références sont le plus souvent manquantes, parfois explicitées d’une note de l’éditeur, et qu’importe. C’est bien l’esthétique générale qui l’emporte, une ambiance entre l’absurde et le poisseux, d’une grande folie dans l’imaginaire. Quatre cases, et pourtant, Furuya arrive à jouer avec les idées, dans la mise en scène et les styles, remettant en jeu chaque page, sans que le lecteur ne puisse deviner ni la prochaine ni même la conclusion de celle-ci, si tant est qu’on puisse arriver à parler de conclusion.
Quelques séries se déclinent, comme autant de variations sur le même thème. Celle vue depuis un œil de bœuf de porte est probablement la plus marquante, une faune de personnages de plus hétéroclites défile réclamant une attention de la part de la personne de l’autre côté de la porte, peut-être le propriétaire ou peut-être le lecteur, complice impuissant de ces figures, bien protégé derrière sa page de ces étranges loustics.
Palepoli est ainsi une œuvre rare, d’une imagination juvénile débordante, mais d’une fausse innocence. Son contenu est parfois provocateur, parfois sensuel, parfois gore, et à l’image de son ambiance étrange et malsaine, jamais complaisant. Un petit écrin noir à la calme absurdité, à l’humour froid, à la folie contenue. Surprenant et rafraichissant, car il ne se destine pas à tous, mais bien à ceux qui arriveront à suivre les divagations créatrices d’un mangaka qui a signé un petit bijou qui ne ressemble à aucun autre.