La tétralogie du Monstre est une œuvre majeur dans la bibliographie d'Enki Bilal, sans aucun doute. Après la trilogie Nikopol, je ne pensais pas que Bilal retrouverait ce coup de génie surtout après la déception d'animal'z. Mais avec la sortie de l'édition intégrale du cycle, je me devais de me replonger dedans par curiosité. Et mes souvenirs étaient exacts, ce fut un vrai moment de plaisir qui m'a embarqué dans un futur totalement déjanté.
Enki Bilal est né à Belgrade. Il a été marqué par l'éclatement de la Yougoslavie, par Sarajevo, par la guerre... et c'est de cet univers qu'il aborde dans ce cycle. Le point de départ en 1993 est un hôpital à Sarajevo, trois bébé sont dans le même lit sous les tirs de Sniper et les chutes d'obus, leurs première rencontre reste gravé dans leurs mémoires. 30 ans plus tard, ces trois personnes vont essayer de se retrouver.
C'est une histoire à 3 voix, on suit simultanément l'évolution de chacun des trois personnages jusqu'au retrouvailles finales. Comme toujours dans les albums de Bilal, il y a une certaine complexité scénaristique. Il y aborde des thèmes terriblement actuels comme l'obscurantisme religieux, la guerre, les déviances scientifiques. Mais le thème principal reste la mémoire. Il propose une véritable thèse sur le rôle de la mémoire individuelle et collective. La mémoire physique, olfactive et sensoriel jouent elles le même rôles ? Le personnage de Nike en est un exemple typique il se souvient des premières secondes après sa première bouffée d'oxygène jusqu'a aujourd'hui.
Le seul personnage d'Optus Warhole est une critique burlesque et glauque du monde de l'art et du mouvement Post Moderne qui doit être abordé au second degré. L'histoire alternant le parcours des trois personnages est assez complexe, entre les clones, les rêves et la réalité, Bilal peut facilement perdre un lecteur qui n'est pas concentré. Lire deux fois le cycle est un minimum pour bien comprendre toute l'histoire. Et le duo formé par Nike et Warhole fait penser tout de suite au duo de Nikopol et d'Horus. Les dialogues sont savoureux, entre humoiur, cynisme et punchline, on apprécie régulièrement leurs confrontations qui ne manquent pas de piquants
On retrouve toujours ce même univers futuriste mais pas si éloigné où la technologie s'est surdéveloppée et où les villes apparaissent comme des cités tentaculaires et surpeuplées.
La démocratie y est un concept bien flou et les religions se pratiquent comme un sport. Le concept du Foot développé par Bilal et Cauvin dans « Hors jeu » y est abordé ici à travers un championnat sur un porte avion.... Les faux extraits d'articles donnent une profondeur au récit et un réalisme poignant.
Ce cycle fourmille tellement d'idées et de réflexions sur le monde actuel qu'il serait difficile de tout résumer en quelques lignes. Mais la tétralogie du monstre est une œuvre incontournable dans la bibliographie de Bilal. Le style graphique a atteint une maturité et un niveau encore plus élevé que ses anciennes créations. La sensation que les dessins sont vivants est omniprésente, les traits parfois imprécis donne un sentiment d'évolution constante dans les coups de crayons. C'est un festival de couleur impressionnant.
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