La Grande guerre touche à sa fin, Corto Maltese s’ennuie. Marin sans navire, il séjourne au Yémen. Plus que Corto, le véritable héros des trois premiers récits est Cush. irez-le, somptueusement dessiné en noir et blanc, efflanqué, les joues creuses, le regard fier, la tête haute, le fusil chargé Lee-Enfield négligemment posé en travers des épaules. Attention, ne vous fiez pas à sa fausse nonchalance et à son sourire cruel, il tire vite et jamais ne manque sa cible.
Corto se déclare maltais, une nationalité chimérique, et caïnite, une hérésie judéo-chrétienne disparue. Ce capitaine de marine marchande ne possède ni équipage, ni compagnon. Cush est un guerrier afar de la tribu des Beni Amer. Banni par son propre clan, il se proclame musulman, mais ne conserve du Coran qu’une expéditive morale guerrière. Il ne se reconnaît aucun maître, qu’il soit de son sang, turc ou anglais, pas d’amis, ni même de frères. Surpris, il découvre en Corto un égal, un homme tout aussi farouchement libre. S’il lui sauve la vie, il récuse toute idée de dette, prétendant n’avoir agi que pour le plaisir d’exécuter un ennemi. Alors que Corto observe et évite d’intervenir, Cush est fier, ombrageux et cynique, il provoque et tue. Qu’est-ce qui fait leur charme ? Plus que leur individualisme désinvolte, c’est leur capacité à affronter l’inconnu, à aller au-devant du danger. Corto et Cush sont des aventuriers.
Or, inconsciemment, ne souffrons-nous pas d’un excès de sécurités, prévoyances et assurances ? Pour ceux qui en douterait, lisez John Eldredge. L’homme moderne, citadin et policé étoufferait depuis qu’il a renoncé aux trois aspirations fondamentales de la virilité : livrer un combat, vivre une aventure et sauver une beauté. L’homme doit prouver sa force.
Quelles pourraient être nos ultimes terres d’aventures (licites) ? Pour les plus audacieux, les sports extrêmes, les randonnées au long cours, la création d’entreprise... Les autres compensent dans la littérature et... dans mon ami Corto.