Afin de suppléer au départ de Lucky Luke, é chez Pilote, Salvérius et Raoul Cauvin créent Les Tuniques bleues en 1968 pour Spirou. La veine initiale est humoristique et western. Très rapidement la guerre de Sécession s’impose et avec elle les batailles et les massacres. Pour une bande dessinée « enfants », on y meurt beaucoup ! Le trait de Willy Lambil, qui succède à Salvérius décédé en 1972, évolue vers un dessin semi-réaliste très documenté, pas un bouton de guêtre ne manque aux uniformes, une bielle aux machines à vapeur, un accessoire aux canons. La série reprend un concept immortalisé par Laurel et Hardy : bien que courageux, le caporal Blutch est libertaire et bien décidé à déserter alors que le sergent Chesterfield est fier d’être soldat, borné et soumis à sa hiérarchie.
Énonçons notre théorie de la "Franchise en bande dessinée" : cinq albums pour trouver sa place, dix pour atteindre un optimum, vingt pour exploiter son univers. Le surplus est au mieux inutile et le plus souvent pénible. Cauvin et Lambil ont livré 64 albums.
La prison de Robertsonville (n°6) est le premier opus à pleinement exploiter les possibilités de l'univers. Il ne lui manque que l’extraordinaire capitaine Stark qui n’apparaîtra – dans sa version définitive – que dans l’excellent Les Bleus de la marine (n°7). Nos héros découvrent la Grande Faucheuse. Les généraux obtus qui précipitent leurs troupes sur des positions bien défendues, les batailles à outrance qui ne s’achèvent que faute de combattants et Cancrelat, l’archétype des sinistres subalternes dont le sadisme est toléré par l’institution. L’album prend un ton pacifiste et antimilitariste que les auteurs exploiteront jusqu’à la corde. Pas de manichéisme : le Nord démocrate ne combat pas un Sud esclavagiste et réactionnaire. Blutch découvre que le camp adverse obéit aux mêmes injonctions. La guerre est désormais sans issue et donc éternelle… comme la série.
Ne boudons pas notre plaisir, Lambil et Cauvin nous ont offert une excellente bande dessinée, avec une dizaine d’opus inoubliables, avant que la loi de la série facile n’éteigne leur créativité.
Auteur extraordinairement prolifique, Cauvin scénarisera d’innombrables séries pour enfants, tels Les Gorilles, Pauvre Lampil, L’Agent 212, Pierre Tombal, Les Femmes en blanc ou Cédric… pour un total, à ce jour, de 50 millions d’albums vendus.
Raoul Cauvin vient de nous quitter. Paix à son âme.