C’est expressif un dessin. Même un mauvais ; un comme celui d’Holyland par exemple. Au-delà même de ce que suggèrent les personnages en exhibant leur faciès, il y a ce qu’ils suscitent : la marque de l’œuvre. Et il y a, dans le concept graphique de la faune d’Holyland, une expressivité indéniable, une qui vous parle, une qui vous hurle. Et elle nous hurle quoi très exactement ?
« Baffe-moi la gueule, t’en meurs d’envie »
Ils ont des têtes à claques, mais si on se sent de leur faire rougir les joues, ce n’est que parce que leur sale trogne nous apparaît comme l’illustration même de ce que l’œuvre contient de fond. Si on lui veut tant de mal au contenant, c’est qu’on le confond finalement avec le contenu. Et cela, avant même d’avoir fait sa connaissance.
Des gueules lisses, sans caractère ni aspérité, elles racontent une histoire avant même celle narrée par le récit. Elles nous font savoir par avance, en s’affichant, que les rouages du script seront abominablement mal graissés et que le grincement va se faire entendre. Celui issu d’une intrigue mal écrite tout d’abord, puis celui de nos dents qui s’entrechoquent le temps et qui s’éliment comme on ronge son frein. Des tronches de minet pareil, ça bifurque quasiment sur le Shôjo : c’est dire si on part sur du hors-piste d’emblée.
Un boxeur mystérieux marave les vilains. L’un des voyous retrouve ses copains dont le chef de bande, à la recherche de l’assaillant, le ret dans les rues de Tokyo. Comment sait il qu’il est ce boxeur flamboyant en le croisant au beau milieu d’une avenue tokyoïte noire de monde ? Je… euh... Le destin ? C’est fumeux, hein, comme explication. Il va falloir vous y habituer. Allez, trempez-vous la nuque pour prévenir l’hydrocution et jetez-vous de plein pied dans le bain de chiasse : Holyland commence.
Ce mystérieux boxeur qui sévit dans la clandestinité est un lycéen, tendance le désert du Kanto ou l’Île de .
Sans surprise mais avec préméditation, le scénario jette le protagoniste dans des situations improbables où des gredins de grands chemins, sans raison clairement spécifiée, l’asticotent et l’agresse. J’appelle ça des PNJ taverne. Vous savez, ces personnages dont seuls les contours sont dessinés et qui, sans se présenter, viennent à la rencontre du héros afin de le provoquer, mettant ainsi mieux en valeur celui qui s’apprête à leur démonter la gueule. Des faire-valoir scripturaux ; on peut aussi les appeler comme ça. Mais dire d’eux qu’ils sont des personnages, ça non, on peut pas.
L’histoire s’écrit sans avoir pris la peine de se poser un instant. Le récit vagabonde plus qu’il ne s’écrit. Sans jamais qu’on sache trop pourquoi – car tout cela est foutrement mal justifié par des enjeux déficients – Yuu et ses acolytes, dont on jurerait qu’ils sont tirés d’un Boy’s Band tant les codes esthétiques qui leurs sont accolés s’avèrent insipides, vont enchaîner les bastons contre des individus. La finalité, la narration cherchera bien à l’articuler, mais entre les bégaiements, les quintes de toux et les hésitations, il ne se trouvera pas un lecteur pour nous dire, à la conclusion de sa lecture d’Holyland pour quelle raison ils se sont battus depuis le début.
Ma thèse ? Cette jeunesse désœuvrée a trop écouté Daniel Balavoine.
« Quand on arrive en ville […] on n’a pas l’air viril, mais on fait peur à voir» ♪
C’est le credo ambiant, alors je m’y tiens.
C’est donc plus ou moins un scénario de guerre de gang à la Bôsôzoku qui se dessine – et si mal – où les protagonistes semblent être persuadés que les rixes aboutissent à une finalité constructive. Vous avez battu le gang des affreux Jojo, félicitations… mais ils sont toujours en vie et habitent toujours le quartier. Ils vous voient à nouveau dans le coin et ils vous botteront le cul. Vous n’êtes pas des gangs à proprement parler qui, par les armes et en investissant physiquement les lieux de manière continue, parviennent à conquérir de nouveaux territoires pour vous les approprier exclusivement et les conserver. Vous le savez, non ?
Non.
Un protagoniste super fort mais doté d’un tempérament peureux j’ai déjà vu ça ailleurs, mais en bien fait. Ici, Martin Matin s’essaye à Streets of Rage sans que le déroulé de son aventure, du premier au dernier niveau, n’ait été motivé par un quelconque impératif. C’est fou, mais je lis un manga qui a oublié de s’écrire et qui, malgré ça, persiste à se dessiner. Heureusement, et ça tombe très bien, les méchants ont des têtes patibulaires, c’est utile si on veut continuer la lecture sans s’embarrasser à lire. Les visages s’affermissent après s’être faits rétamer par le héros cependant. Car, comme dans la vraie vie, quand vous tabassez quelqu’un, il devient votre ami et gagne en bienveillance. Envie de vous réconcilier avec quelqu’un que vous tenez pour hostile ? Brisez-lui les cervicales, vous trouverez ainsi une place de choix dans son cœur. Je tiens cette morale d'Holyland, ses vertus ne sauraient être décemment contestées.
Rien qu’en regardant les images – et même très rapidement – vous pouvez tout savoir de ce qui se sera dit dans un chapitre de Holyland. L’œuvre est si mal foutue qu’on régresse anthropologiquement parlant, au point que le verbe devient dispensable pour nous en tenir à des peintures rupestres – mais sans caractère ni authenticité. Qu’on se le dise, les dessins des grottes de Lascau racontent une histoire autrement mieux ficelée que ce que vous subirez le temps d’Holyland.
Petite parenthèse narrative dans cette critique que je publie près de deux ans après l'avoir écrite. Il se trouve que Kôji Mori écrira plus tard le manga Genesis où il sera justement question de peintures rupestres dans l'entame de l'œuvre, celles-ci venues consacrer une intrigue se ant à l'âge des derniers néandertaliens. Je trouvais simplement ça truculent d'avoir fait ce rapprochement involontaire. Comment ? Vous vous en foutez ? Bon. Revenons-en à la critique.
L’adversité ? Parfois, Yuu fait des grimaces pour nous dire qu’il a mal. Ça vous va ? Tant pis, vous ferez quand même avec. One Piece est plein de ces combats où un protagoniste meurt trois fois le temps de l’altercation pour sautiller gaiement trois cases après, mais on lui pardonnait du fait que l’œuvre fut un Shônen qui se piquait autrefois de légèreté avant de se complaire dans la lourdeur. Holyland, faut pas croire, mais c’est du Seinen.
Il est perturbé notre Saikyou Densetsu Kurosawa, les larmes montent encore plus facilement aux yeux devant le désastre ambiant dont on est témoin ; dont on est victime. Aucune imagination dans la chorégraphie, rien qui ne soit non plus franchement réaliste : il n’y a pas de travail de ing ou d’orchestration du combat, rien que des coups jetés au hasard pour distraire la plèbe.
Je vous e les introspections de Yuu qui, dans ses tourments de jeune en mal être, nous assènent ses « gneu gneu gneu » et autres « ouin ouin ouin » qui, pétris de bons sentiments d’apitoiement sur soi, vous donnent envie de le prendre dans vos bras pour le serrer fort, fort, très fort, jusqu’à ce que sa colonne vertébrale se rompe enfin et que son existence cesse. Comment voulez-vous ressentir de l’empathie pour un personnage à qui vous avez sans cesse envie de coller des claques dans la gueule ?
Ah ce personnage principal… EmoKiddu59 dans toute sa splendeur. Quand on le voit relâcher sa rage après que Shin se soit pris une branlée, hurlant littéralement devant la pleine lune, tandis que sa narration introspective nous écrit « À ce moment en moi, il n’y avait ni coupable ni victime, ni justice, ni mal, j’étais rempli de quelque chose qui bouillait en moi ».
Et on a osé poser Sasuke comme la variable indéable du « Emo ». La vérité, c’est que plus Yuu cherche à être profond, et mieux il s’enterre. Les claques, bien assez tôt, on meurt d’envie de lui coller derrière la nuque pour qu’il arrête de se prendre pour une âme damnée. Et il se lamente TOUT-LE-TEMPS. Chaque fois qu’il se trouvait un adversaire sur son parcours, qu’il fut assassin d’enfant ou mangeur de chatons, je me surprenais à prendre son parti ; qu’enfin quelqu’un fasse taire ce mongolien qui nous tient lieu de héros. Seulement, je savais que quand une histoire et ses personnages étaient si bien écrits, les scénarios où le protagoniste principal finissait vaincus étaient à proscrire d’avance. Si Izawa a droit à une victoire contre lui, c’est parce qu’il est d’une part le deuxième héros – la victoire reste en famille – et parce qu’il est cette figure de rival que le personnage principal a vocation à surmonter. Et s’il perd face au kickboxer, c’est parce que, dixit Izawa « Il n’a pas la volonté de vaincre ». C’est quand même con de se battre quand on est dans cet état d’esprit. Il reviendra deux tomes plus tard en étant mieux disposé pour avoir la victoire définitive.
Holyland, c’est – à n’en point douter – la vie que se fantasmait son auteur, sans doute introverti et geignard au lycée, qui aurait aimé être ce combattant hors-pairs qu’il nous décrit. Le procédé de narration, dégoulinant d’un pathos mièvre sur lequel on n’oserait poser ni les doigts ni le regard, constitue clairement la matière qui aura servi de matrice à Rainbow. On a le même sentiment à la lecture, celui qui conduit à rendre son précédent repas comme une juste offrande adressée à l’œuvre.
Les combats seront tous les mêmes, vous arrachant les mêmes bâillements à heures fixe. On s’emmerde en suivant le rythme. La violence, à force de ne jamais trouver ici la moindre justification à s'exhiber, a presque fait de moi un partisan du pacifisme inconditionnel. « À quoi bon se battre ">bien souvent à la description des « goûts » de mes congénères. À supposer qu’eux et moi soyons encore de la même espèce quand on les voit se vautrer dans de pareilles déjections en chantant.
Quoi de mieux pour conclure en apothéose pour consacrer ce monument érigé à la gloire de la médiocrité qu’en clôturant… sur un sauvetage de damoiselle en détresse. Les méchants – ces vilains – ont enlevé la nana du héros ! Alors… alors… i… il fait PIF !!! et… et puis, même qu’il fait PAAAF ! Et tous les méchants bah… bah… ils sont battus. Voyez cette manière erratique et infantile de narrer les événements ? Transposez-la sur un manga : vous tiendrez Holyland entre les mains.
Et cette fin qui n’a fait que des aigris parmi les laudateurs de l’œuvre… c’est à pleurer de rire. Mielleuse et dépourvue d’une quelconque forme d’audace ou d’originalité, elle ne conclut rien parce que rien n’avait de toute manière pris la peine de s’établir. Comment met-on fin à ce qui n’aurait jamais dû commencer ? Comme ça. C’était Holyland, un Furyo mal digéré qui nous aura échoué en pleine gueule. Plus triste encore que de se dire que de pareilles déjections puissent exister, c’est de savoir qu’il s’en trouve pour la lire et s’en régaler.