Je déteste attendre. J’ets qu’un dessinateur ne puisse livrer plus d’un album par an, mais quel supplice que celui d’attendre des mois le tome suivant.
J’aime les séries courtes. Quatre opus constitue un excellent format, suffisant pour bâtir une histoire complexe, tout en résistant à la tentation commerciale de la série fleuve.
J’aime la mer, les bateaux, les marins et les pirates.
Long John Silver me tentait depuis des années, je me suis lancé ! Seul dans la maison désertée, quatre tomes, quatre soirées consécutives, que du bonheur.
Le dessin de Mathieu Lauffray est somptueux. Il excelle dans les paysages en double page, les représentations aériennes nocturnes de landes britanniques, de mer déchainée, du calme doucereux et mortel de la forêt amazonienne, de la titanesque cité putride de Guyanacapac. Il brille dans la démesure. L’homme et ses orgueilleuses réalisations, manoirs, villes ou vaisseaux, sont réduits à leur dérisoire insignifiance. La nature est plus grande ! Lauffray est moins à l’aise dans les détails, les petites vignettes l’ennuient, il les traite en mal nécessaire. Raconter une histoire exige des personnages. Il sert magnifiquement ses héros. Long John Silver est cauteleux, extravagant, sournois, triomphant, ensorcelant. Vivian Hastings est fière, cruelle, implacable, inquiète, fiévreuse. Les seconds rôles sont moins bien servis. Son trait se fait changeant, comme lassé. Lauffray s’attarde sur les gueules cassées, les trognes burinées, usées, couturées. Il les fait boire, rire, chanter, hurler et combattre.
Venons-en au scénario de Xavier Dorison. Un officier de marine anglais, Lord Byron Hastings, liquide la moitié de sa fortune pour se lancer à la recherche d’une cité d’or. Alors qu’on le croyait perdu, il somme son frère de vendre le reliquat afin d’armer un second navire, le Neptune. Son épouse délaissée et infidèle se t à l’expédition, non sans s’être acoquinée avec un forban assagi. Ce cher Long John Silver a vieilli. La Royal Navy est maîtresse des mers, la piraterie est morte et oubliée. Les derniers hommes libres se terrent et s’alcoolisent. J’avoue ma perplexité. Les trois premiers tomes exploraient une veine réaliste. La présentation des personnages, des enjeux, l’armement du vaisseau. La traversée de l’Atlantique, la montée des tensions et la mutinerie. La remontée du fleuve amazonien, le paroxysme des peurs et des folies ! J’entamais le dernier opus avec confiance et curiosité. Quelle ne fut point ma surprise ! Dorison bifurque, nous conte une autre histoire qui, non seulement surprend son lecteur, mais fragilise l’ensemble. Nous nous préparions aux retrouvailles du couple Hastings. Vivian était terrifiée par son mari, quel secret les liait donc ? Patatras, le lord est piqué et envoyé ad patres en deux pages. Dorison nous plonge dans un fantastique échevelé et lovecraftien, Cthulhu cédant sa place à un avatar local : Xibalba. Ce dernier exige toujours plus d’or et de sang. Lord Byron n’avait que faire du vaisseau, mais ne souhaitait que des victimes à offrir à son nouveau Dieu. Pourquoi les chercher si loin ? Le Neptune et l’intrigue sombrent dans de basses eaux glauques.
Le duo nous offre néanmoins de magnifiques images de combat, un très classique survival. Nos aventuriers font face à des hordes de varans agressifs et d’Indiens lobotomisés. Ils tomberont valeureusement, les uns après les autres. Tout ça pour ça !