Tetsuya Toyoda, étoile montante du manga actuel, témoigne d’une variété étonnante dans les registres de ses récits, maniant aussi bien l’intimisme, l’enquête policière, le drame familial que le surréalisme et l’humour foldingue cher aux nippons. Tel un gymnaste amateur de grands écarts, il tire sa force de l’apparente futilité du quotidien pour l’amener vers des chemins inexplorés, tantôts surnaturels, tantôt lucides et tragiques, toujours uniques.
Scénario : Son troisième ouvrage publié en « Coffee Time » (en priant pour que ce ne soit pas le dernier, ses publications étant nettement plus nombreuses au Japon) est donc une compilation de dix-sept histoires courtes, ayant pour liens quelques personnages récurrents (l’éternel inspecteur Yamazaki, pour ne citer que lui) et surtout la présence du précieux breuvage sombre, le café. Si l’ambition de Toyoda était déjà souvent de capter des instants incongrus et des personnages atypiques, c’est plus que jamais le cas ici. Entre un réalisateur italien pour le moins excentrique en voyage de repérage au Japon, deux amis gangsters sur le point de s’entre-tuer, un serveur de café à l’ouest ou des girafes prédatrices, le vaut définitivement le coup d’œil. Entre deux coups de folies, il développe des histoires plus graves, abordant une fois de plus la rupture familiale, les difficultés sociales qui faisaient tout le sel de ses précédents albums « Googles » et l’immense « Undercurrent ».
Dessin : En plus d’être maîtrisé jusqu’au moindre trait, le style de Toyoda se distingue pas une sobriété occidentale qui est certainement l’une des raisons de son succès dans l’hexagone. Si ses personnages gesticulent et s’animent parfois, c’est tout en finesse et il n’y a ici jamais rien de grossier, d’exagéré. C’est un véritable sens du mouvement et du statisme qui se déploie sous nos yeux ébahis. Et si les visages de ses personnages ont souvent tendance à se ressembler (un sacré tic graphique !) ils sont suffisamment expressifs et bien composés pour rendre le tout plus qu’acceptable.
Pour : Mais c’est encore une fois son sens de la mise en scène qui sidère le plus ici. Très cinématographique, d’une efficacité redoutable, ses cadrages rendent la moindre action dynamique et fluide tout en restant dans une suggestion qui sied comme un gant au registre anecdotique et fugace de ces histoires.
Contre : On regrette quelque peu l’ambition dramatique des deux précédentes publications du mangaka citées plus haut. Car la légèreté dominante de ce « Coffee Time » est certes très agréable, mais peu marquante là où la capacité d’émotion était antérieurement décuplée.
Pour conclure : Si cette dernière parution de Tetsuya Toyoda est moins indispensable que les précédentes, elle n’en reste pas moins un panoramique sacrément insolite d’histoires nombreuses, dépaysantes et toutes différentes. On en redemande, et vite !