Il y a parfois des séries dont les auteurs dépensent tout leur talent dans les premiers albums, pour ensuite entrer dans une routine aussi bien du point de vue du dessin que du scénario. Les Innommables est de celles-là. La série commence très fort; dès la deuxième case du premier album, on est dans l'ironie, le décalé, le cynisme assumé: un fringant officier (style Buck Danny), qu'on croit un instant être le héros de l'histoire, se fait bêtement écraser par une jeep et on n'en entend plus jamais parler. On fait alors la connaissance des vrais personnages, trois pieds nickelés roublards et gentiment amoraux.
"Matricule Triple Zéro", le premier album, posait les jalons. Puis "Shukumei" enfonçait le clou, et on entrait dans le vif du sujet avec "Aventure en jaune", une déconstruction au vitriol des clichés d'aventures asiatiques à la Bob Morane. Dans un Hong Kong d'après-guerre en proie aux luttes politiques et aux machinations des sociétés secrètes, les Innommables tâtent de la contrebande avant de se faire carrément proxénètes. On se ionnait pour une intrigue à ressorts, on s'interrogeait sur les motivations de personnages secondaires tous plus troubles les uns que les autres, on s'attendrissait de l'histoire d'amour naissante entre Mac et Alix... et puis l'éditeur, Dupuis, a décidé du jour au lendemain de supprimer la série. Trop adulte pour le journal de Spirou, sans doute.
La série a repris ensuite sur d'autres bases et chez un autre éditeur, mais rien à faire: pour le fan de la première heure que j'avais été, il manquait quelque chose. Le dessin était devenu plus paresseux, de Franquin on était é à Morris, et les scénarios tournaient désormais à vide avec un cynisme gratuit. Dupuis, si tu me lis de là où tu es, honte à toi!