Elinor n'est pas la seule à avoir un petit secret (celui de son anorexie, et, corrélativement, celui de son perfectionnisme un peu pathologique). Madame Tiffany, grande dame victorienne, reçoit une mystérieuse lettre écrite en chinois, dont elle diffère la réponse tant qu'elle peut, alors même que son rigoureux domestique chinois, Chao, semble la rappeler à un énigmatique devoir relatif à cette correspondance.
Le scénario, essentiellement centré sur la confection de ravissantes robes de grand luxe pour le "Bal de Printemps" d'une société fort choisie, joue donc sur les mutations de caractère et les renversements de situation. Madame Tiffany, maîtresse des lieux, semble dépendre à quelque égard de son domestique. Le fils de famille, si odieux dans le tome 1, se comporte normalement ou à peu près, et ressemble à un jeune homme soucieux des jolies filles. Pourtant, il n'a pas envie de s'éterniser à prendre la succession de sa mère, ni à chaperonner le travail pourtant expert de sa jeune soeur. Le monde lui est ouvert : il veut voyager. Enfin, Bianca, la jeune soeur, révèle un caractère autoritaire et susceptible, en contradiction avec son visage d'ange.
Sous la férule de ces directeurs-employeurs compétents, les jeunes couturières se risquent parfois à prendre des initiatives risquées, voire contrariantes, au nom d'une conception exigeante de leur propre art. Où l'on verra que leurs prétentions peuvent trouver une oreille complaisante... ou pas.
La futilité de ce monde de soieries et de formes sculptées dans le chiffon et l'étoffe se rachète au moyen de la splendeur du dessin, des couleurs, des éclairages, tout de raffinements aériens tendant vers un certain idéal de beauté. Lumières naturelles auréolant les visages et les mains, envolées des étoffes paraissant parfois translucides ou simplement satinées, sans que l'on puisse vraiment trancher.
Le jardin des Tiffany est un paradis: fleurs saturées de couleurs, gazon, étang, petit pont, tonnelle en dais, cascade de bougainvillées...
Les dégradés de couleurs sont d'une finesse et d'une progressivité qui laissent derrière elles, à des années-lumières, les contrastes linéaires et brutaux de tons censés refléter les zones lumineuses et ombragées des visages, dans d'autres bandes dessinées. L'élégance des formes, la douceur des couleurs, la science des rapprochements et des appariements, aussi bien dans les costumes que dans les décors d'extérieurs, relèvent du grand art. Les arbres éloignés perdent leur apparence de masse bruissante et multiple pour être revêtus d'une sorte d'engobe vert moelleux et sensuel.
Le bal de printemps se révèle être une féérie sur laquelle le dessin s'attarde avec complaisance et minutie (planches 37 à 41). On est dans un rêve de petite fille. Profitons-en, ce n'est pas tous les jours.