Prouesse étonnante qu'un disque avec un son et des arrangements aussi mainstream (synthétiseurs, chœurs sirupeux et boite à rythme, proche des musiques d'aéroports, ce que les américains appellent "muzak") soit un tel chef-d’œuvre. Leonard Cohen a réussi un tour de force : détourner et s'approprier des clichés musicaux pour en faire les moments de poésie les plus singuliers qui soient, pour finalement aboutir à une œuvre étrange et hors normes.
J'avoue avoir été troublé aux premières écoutes, dérouté par la connotation variété du style musical de l'ensemble de l'album. Mais au fil du temps, ce son devient envoûtant, au service d'une exceptionnelle qualité mélodique et de textes magnifiques, quasiment récités par la voix d'outre-tombe de Cohen. Le croisement des quatre éléments (textes, mélodies, voix d'une part et arrangements mainstream d'autre part) produit un effet esthétique paradoxal, presque ironique, renforçant l'atmosphère hypnotique, mélancolique et intemporelle. Évoquant la nécessité de l'amour, la fin du désir, l'aspiration à la vie spirituelle, les textes font partie des meilleurs de Leonard Cohen.
Depuis je reviens sans cesse à cet album, pour moi l'un des plus accomplis de Cohen. Toutes les chansons sont de grandes réussites artistiques, elles s'enchainent avec une évidence et une nécessité confondante. Les plus belles sont peut-être "That don't make it junk" que Cohen a repris récemment sur scène, et "Alexandra Leaving" sur le sublime poème de Cavafy ("Antoine abandonné des Dieux"), et les autres sont tout aussi remarquables.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.