Note personnelle : 8/10
Il y a des albums qui s’écoutent. D’autres qui se traversent. R.I.P., lui, se subit avec lenteur, comme une dérive mentale dans un couloir sans fin, éclairé par des néons qui clignotent au rythme du doute. C’est une œuvre de tension suspendue, de mémoire brouillée, un disque qui flotte entre la vie et l’effacement — un rituel électronique pour funérailles abstraites.
Darren Cunningham, alias Actress, signe ici une œuvre profondément anti-narrative, presque rituelle, où les sons ne racontent pas une histoire linéaire, mais suggèrent un effondrement, une traversée. Il n’y a pas de début, pas vraiment de fin. On entre dans l’album comme dans un brouillard. Et on y reste. C’est une épreuve lente, mais hypnotique.
"R.I.P." – Le seuil
Le morceau-titre, “R.I.P.”, agit comme un sas : à peine une minute, un souffle, une note suspendue, un prélude éteint. Ce n’est pas un début triomphal, mais plutôt une perte de repères immédiate, comme si l’on ait d’un monde tangible à un espace flou, spectral. On ne sait pas encore ce qu’on va affronter, mais le silence entre les notes parle déjà.
"Ascending" – Une élévation sans ciel
“Ascending” n’est pas une montée, c’est une fuite. Les nappes y sont lentes, presque maladives, comme si elles cherchaient l’air sans jamais l’atteindre. On pourrait y entendre une élévation spirituelle, mais on n’est pas dans l’extase : plutôt dans une forme d’ascension contrariée, où chaque fréquence semble hésiter entre dissolution et révélation.
"Shadow from Tartarus" – Le souffle des enfers numériques
Le titre annonce la couleur : une ombre venue des tréfonds. C’est l’un des morceaux les plus marquants de l’album, à mon sens. Un battement fantôme pulse au loin, enterré sous des couches de distorsion, comme si Actress donnait voix aux limbes. On y entend la techno exilée, privée de club, décharnée mais vivante, qui rôde dans un non-lieu.
"Uriel’s Black Harp" – Un ange perdu dans un synthétiseur
Ce titre est fascinant. Il convoque une mythologie biblique (Uriel, l’archange de la sagesse) pour mieux la tordre. La "harpe" est noire, donc pervertie, cassée. Les sons y sont glitchés, désaccordés, comme un chant céleste tombé dans les décombres numériques. C’est peut-être ici que le contraste entre le sacré et le synthétique atteint son paroxysme.
"N.E.W." – Une fin qui n’en est pas une
Le dernier morceau ne clôture pas l’album. Il le laisse suspendu. On reste là, avec ce bourdonnement à peine structuré, cette impression de fin non-résolue. Et c’est précisément ce flottement qui reste en mémoire. Actress ne cherche pas à nous rassurer. Il prolonge le doute, comme s’il nous disait : “il n’y a pas de sortie de ce rêve”.
Pourquoi 8/10, alors ?
Parce que R.I.P. est un album rare, audacieux, profondément honnête dans son minimalisme. Il n’est pas toujours accessible, parfois volontairement hermétique, et certains moments peuvent sembler trop abstraits ou désincarnés. Mais il y a ici une vision artistique forte, un refus de la facilité, un appel à l’écoute active, presque méditative.
C’est un disque qui marque. Qui dérange. Qui laisse des traces — non pas sur la peau, mais quelque part dans la zone grise entre la conscience et le rêve.