Nude
7.2
Nude

Album de Camel (1981)

Wake up... wake up...

La fin des années 70 et le début des eighties furent un coup de grâce impitoyable pour le rock progressif. Certains groupes de ce genre surent tenir la tête haute, comme Van Der Graaf Generator voire même Pink Floyd (bien que je déteste The Wall), tandis que d'autres, tels Yes, Genesis, Gentle Giant ou Chicago, se trahirent et foncèrent tête la première dans les saloperies synthétiques et digitales typiques de la musique des années 80. Une autre minorité restreinte, hélas, eut des résultats mixtes et incertains, mélangeant pop et prog de façon concluante, parfois pas... Ce qui est sûr, en revanche, c'est que Camel faisait partie de cette minorité citée ci-dessus. Après une approche commerciale satisfaisante bien qu'inégale par rapport aux albums précédents avec Breathless en '78, notre ami chameau s'est attiré la fureur des critiques et des fans sur l'opus suivant, I Can See Your House From Here, qui, en réalité, était tout aussi bon que son antécédent. Mais bon, l'âge d'or du groupe était résolu depuis longtemps, et ce n'était que soulagement qu'il n'ait pas sorti de la merde poppy et mielleuse. Nude, sorti en '81, inaugure-t-il les eighties en cédant finalement aux incitations musicales purement commerciales et synthétiques qui caractérisaient l'époque? Justement non, Nude est une merveilleuse surprise qui se distingue considérablement d'autres œuvres de ses contemporains... une oasis en plein milieu d'un désert rempli de crasses (oui, je hais les années 80!!!), comme un triste adieu, un salut solennel aux seventies, la décennie la plus créative et prospère de l'histoire du rock... voire de la musique en général.

Tout d'abord... Qui aurait osé sortir un album concept (à part Pink Floyd et son mur?) à cette époque-ci? Presque personne. Bon oui, The Alan Parsons Project a bien sorti The Turn Of A Friendly Card un an auparavant et en toute franchise, c'est un album de chansons conceptuellement proches et non un véritable rock opéra. Non, ici, Camel renoue avec des ambitions similaires à celles qui avaient donné naissance à The Snow Goose, en s'inspirant cette fois d'une histoire vraie, celle de Hiroo Onoda, le célèbre soldat japonais complètement borné qui a foutu 29 ans de sa vie en l'air à pourrir sur une île des Philippines juste parce qu'il était trop méfiant pour avouer que la grande guerre était terminé. Seulement, ici, le guitariste (et leader du groupe, non officiellement) Andrew Latimer, insaisissable génie qu'il est, décide d'ajouter davantage de profondeur à l'histoire, en introduisant quelques éléments fictifs et surtout les thèmes de l'isolation, irablement mis en lumière par la belle musique dont est constitué Nude.

Certains fans de prog pourraient dégueuler, cependant, en entendant la première chanson du disque, City Life. Pourtant, je la trouve magnifique. C'est l'une des rares chansons pop du groupe à vraiment réussir dans l'harmonie et l'harmonie, sans pour autant tomber dans les pièges qui avaient raté Remote Romance (j'ai toujours pas digéré!) ou Your Love is Stranger Than Mine. L'inauguration de l'album se faisant par son intro hyper apaisant, digne des plus grands Pink Floyd, City Life e ensuite sur une mélodie simple mais joyeuse et entraînante, embellie par les parties vocales de Latimer. Un morceau qui n'a pas beaucoup de liens musicaux avec le reste de l'album, mais qui reste nonobstant excellent, surtout en guise d'introduction. La plage titulaire est une simple transition qui dure à peine 23 secondes, donc sans intérêt, mais qui permet de rentrer tout doucement dans le magnifique Drafted, autre piste très réminiscente du Floyd. Ici, le piano et la guitare de Latimer s'unissent pour former une mirifique mélodie remplie de tristesse, représentant le recrutement forcé d'Hiroo, é par des synthés maîtrisés et raisonnables qui lui donnent un aspect symphonique parfait, embellissant de ce pas la chanson. Moi, personnellement, ça me rappelle les sublimes parties de piano sur The Final Cut (la chanson), qui sortira deux ans plus tard. Les soli de guitare, très gilmouriens sont d'une beauté incontestable et réussissent, comme n'importe quel solo de Gilmour et de Latimer, à emphatiser sur le feeling des notes de façon marquante. Les paroles, écrites par une amie du guitariste, Susan Hoover, sont d'une simplicité efficace, sachant mettre en valeur le manque d'enthousiasme d'Hiroo. Je sais que ce n'est que la troisième piste du disque, mais je pense déjà que Drafted sera ma préférée. À partir de cette chanson-ci, l'album sera presque entièrement instrumental, se reposant sur l'étonnante musicalité qui avait permis de raconter avec une aisance assidue l'histoire de l'oie des neiges de Paul Gallico en 1975. Le temps n'est plus aux effusions dans Docks, instrumental dynamique et entraînant qui illustre à merveille le départ des navires de guerre japonais du port de Tokyo, sous une cadence lente et hypnotique menée avec brio par le bassiste Colin Bass, bassiste tout à fait honorable qui réussit toujours à tirer quelque chose de bon des lignes de basse les plus simplistes, et Ward, qui aura l'excellente idée de nous relancer quelques fills de toms vers la fin du morceau, en accompagnant des parties de claviers tantôt symphoniques (on croirait entendre des trompettes), tantôt typiquement orientales! Beached suit plus ou moins la même ambiance, figurant de superbes parties effrénées de guitare de la part de Latimer conduites sur une cadence véhémente et hypnotique, où Ward se déchaîne de plus en plus sur sa batterie, avant de laisser place à quelques intermèdes de claviers virulents, suivis de trompettes bombastiques et patriotes. La guitare rythmique fera aussi son intervention à intervals réguliers pour souligner la pluralité d'atmosphères et d'émotions présente dans ce morceau parfaitement captivant. Ensuite, c'est la paix et le calme qui reviennent pour marquer le très doux Landscapes, très ambient et sans aucun doute parfait pour méditer. De belles parties de flûte, très apaisantes, viennent enrichir l'arrière-plan sonore dense et timbré. Changing Places est une belle tentative de world music, mettant en place de curieux bongos avec de très mélodieuses parties de flûte, ces dernières subséquemment reprises solennellement sur Pomp and Circumstance, autre piste extrêmement délassante du même registre que Landscapes, avant que celle-ci ne se termine sur un très inquiétant coup de feu accompagné de tambours militaires...

La deuxième face de Nude recommence sur une note joyeuse et remplie d'espoir dans la simpliste Please Come Home, piste que n'aurait certainement pas renié Roger Hodgson de Supertramp. Reflections est un autre morceau ambient qui permet d'amorcer l'étonnant et captivant Captured, instrumental exceptionnel qui combine une section rythmique intense et juste complètement dingue avec des parties de saxophone symphoniques, sachant mettre en lumière la dynamique oppressante de la capture d'Hiroo... The Homecoming est un autre morceau à la The Procession, avec une batterie militaire et des trompettes fanfaresques qui soulignent et illustrent parfaitement le patriotisme et la joie à la vue du retour du plus endurant combattant de l'empire japonais. La piste successive, et accessoirement la plus longue de tout l'album, Lies, est un coup de maître absolument remarquable. S'ouvrant sur un riff criant et un rythme posé, rappelant avec plaisir celui de Have a Cigar de Pink Floyd, Camel nous en fout plein la vue avec une ambiance funky et bluesy à la fois, dominée par les guitares new-age et gilmouriennes de Latimer ainsi que par la ligne de basse accrocheuse de Bass, avant de nous surprendre complètement avec un excellent solo d'orgue de la part de Duncan Mackay, qui me renvoie directement dans les années 70, à ma plus grande joie. L'album s'achève sur une mini-suite, The Last Farewell, divisée en deux parties; The Birthday Cake et Nude's Return. La première section est courte mais bourrée de réconfortantes et nostalgiques mélodies, exceptionnellement rendues par les guitares et synthés ambients, qui prendront un ton encore une fois décisivement très gilmourien sur Nude's Return, véritable hymne à la solitude, pourtant joyeux, qui conclut la merveilleuse histoire de Nude de la meilleure des façons.

1) City Life (9/10)

2) Nude (7/10)

3) Drafted (10/10)

4) Docks (8,5/10)

5) Beached (8,5/10)

6) Landscapes (8/10)

7) Changing Places (8/10)

8) Pomp and Circumstance (8/10)

9) Please Come Home (8/10)

10) Reflections (7/10)

11) Captured (9/10)

12) The Homecoming (7,5/10)

13) Lies (9,5/10)

14) The Last Farewell (9/10)

a) The Birthday Cake (9/10)

b) Nude's Return (9/10)

(Le morceau indiqué en gras est mon préféré du disque)

Après Rain Dances, Breathless et I Can See Your House From Here, Nude s'annonce comme un triomphe total, quoiqu'inattendu en ce climat défavorable et rempli d'incertitude pour le prog rock. Si certaines parties de son contenu peuvent sembler effectivement ennuyeuses ou moins captivantes que d'autres, force est de reconnaître que l'album est constituée d'une homogénéité indéniable et d'un mélange harmonieux et équilibré entre pop, rock et ambient, tous trois contribuant à raconter l'étonnante histoire de Hiroo Onoda.

Nul doute ne m'est permis; il s'agit sans aucun doute d'un des meilleurs albums de Camel, dont la solidité résulte davantage amplifiée vu l'époque durant laquelle il a été publié.

8,5/10

P.S.

Quelqu'un aurait-il l'extrême obligeance et gentillesse de m'expliquer en quoi consiste la nouvelle "politique anti-spam" à la con qui m'a fait chier tout au long de la rédaction de cette critique, alors qu'il y des enculés qui continuent à débiter des textes en chinois à non-sens en continuation sur ce site de MERDE? Je vous remercie d'avance.

8
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le 23 mars 2025

Modifiée

le 23 mars 2025

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Herp

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