Asinine est assise sur la jetée. Au bord de l'eau, elle regarde l'horizon ; la suite, peut-être, d'une carrière qui ne vient que de débuter. Avec déjà quelques très beaux morceaux ; avec des prods jusqu'ici très électroniques, une voix aigüe, soufflée, presque murmurée. Avec aussi, comme certains de ses comparses de la si hétéroclite "new-gen", des textes très travaillés et une sensibilité et une singularité touchantes. Tout ça, c'était déjà le cas avant La jetée. Maintenant, elle a aussi un très grand projet.
Un mot d'abord sur les prods, qui prennent tout de suite un contre-pied par rapport à ce sur quoi on l'avait entendue jusqu'ici. Dès le premier titre, des pianos scintillants, des batteries organiques qui ne se privent pas de petits fills bien sentis, des synthés nappants... On trouve toujours des éléments électroniques bien sûr, mais les voilà accompagnés d'instruments qui lui vont extrêmement bien. La suite est tout aussi surprenante ; on a des drums presque trip-hop sur Meute de loups, et des inspirations franchement pop-rock sur 100 ans. Elle semble consciente que c'est une des forces du projet, et laisse par exemple 1 minute d'intrumentale à la fin de l'outro, dont on reparle plus bas.
La voix, elle, n'a pas énormément bougé. C'eût été surprenant tant elle fait son originalité, puisqu'elle a le bon goût de chuchoter d'une manière très différente de ce qui se fait d'habitude. Il reste à mon avis un petit coût d'entrée pour des auditeurs non-aguerris, et qui auraient envie de tout comprendre à la première écoute ; je pense que ce n'est pas possible. Mais les alternances entre rap et chant sont toujours aussi maîtrisées, tout comme l'autotune, qui ne l'écrase jamais.
Et enfin et surtout, je conseille de prendre le temps d'écouter l'album en lisant les textes sur Genius. C'est le point fort d'un disque qui en a pourtant beaucoup d'autres, mais qui prend franchement une autre dimension quand on se rend compte de tout ce qu'elle raconte. Un très beau morceau sur sa soeur avec 100 ans ; du rap résolument politique sur Le ciel est sourd ; et une maestria de poésie sur l'outro, Si le soleil existe. J'écoute beaucoup de rap, et je ne crois pas avoir d'exemples récents de textes aussi bien écrits. C'est fin, touchant, percutant, imagé. J'en cite un (long) extrait pour vous donner envie de cre :
Y a des choses qui ont pas d'parallèle / J'gâche des hеures à chercher dеs mots pour décrire l'indicible et toi tu pars avec / La chance elle te sourit et, deux secondes après, cette pétasse, elle, m'attrape par la veste / La haine, c'est d'abord une main brulante autour de mon cou puis une froide dans la mienne / J'fais mes dents sur ma peau, j'm'étonne que ça saigne
Au final, un projet court (8 titres, 22 minutes), qui me marque beaucoup plus que des choses bien plus longues que j'ai écouté ces dernières années. Asinine a une plume, une voix, des producteurs talentueux pour l'accompagner. Elle a à peine trois ans de carrière, et pour l'instant que des projets courts ; autant dire toute sa carrière devant elle. Elle est assise sur la jetée, au bord de l'immensité.