Bertrand Cantat, c’est le genre d’artiste qui sort un album tous les quatre ou cinq ans. A l’époque de Noir Désir, c’était déjà le cas, il fallait attendre plusieurs années avant de pouvoir réentendre cette voix si enivrante et ces mots si cristallins. Depuis 2010 et son retour sur scène avec Eiffel à Bègles, le public de la première heure s’impatiente encore plus. Ce n’est plus le leader charismatique des années 90 qui enflammait les foules à coups de « Soyons désinvoltes, n’ayons l’air de rien », ou de « Nous les écorchés vifs, on en a des sévices ! ». Non, c’est un homme plus mâture et posé, qui a évolué comme beaucoup, on ne peut donc pas s’attendre à du Noir Désir deuxième génération. Pourtant, tel le phénix qui renait de ses cendres, Cantat n’a pas perdu de sa superbe. Ce qui est le plus époustouflant dans cet album, c’est cette voix qui n’a pourtant pas changée, qui est capable de nous faire ressentir toutes les émotions possibles, qui nous secoue, nous bouleverse, et nous pousse à ne se « rendre jamais ». Mais pas seulement. Cantat est un poète, et il n’a plus à le démontrer, encore plus dans cet album. Il sait manier et marier les mots à la musique parfaitement, bien que ça ne soit pas chose facile comme il le confiait en 2014 avec Détroit.
Dans cet album, on trouve à la fois des morceaux forts et dénonciateurs, (je pense à « L’Angleterre », qui a été le premier morceau dévoilé, aux accents très pop, mais aussi au très électrique « Chuis con », ou à « Silicon Valley » qui dénonce les réseaux sociaux, l’impact des grosses entreprises américaines sur le monde, et qui rappelle pour le coup « L’Homme Pressé » de feu Noir Désir). Enfin, l'artiste nous dévoile des morceaux très intimistes (comme « Anthracitéor », « Pluies diluviennes », qui rappellent d’ailleurs « Ange de désolation » de Détroit)…
Mais comment parler de cet album sans évoquer le morceau éponyme ? « Amor Fati », dont le titre fait référence à un concept du philosophe Nietzsche, et qui évoque l’amour du destin, et surtout son acceptation, est un morceau extrêmement intimiste mais sans doute le meilleur et le plus enivrant.
« Eh toi qu'est-ce que tu sais de ma vie, qu'est-ce que tu sais de ma peine
Tu parles, tu causes, tu parades, tu gloses
Et t'as mauvaise haleine on dirait Sue Ellen
Tu fais semblant de savoir, tu racontes des histoires
Bouffon, charlot
Recrache comme un robot les conneries prémâchées
La soupe qu'on a jetée dans ton écuelle d'esclave
Et regarde toi maintenant tu baves
A c'que j'sais tu veux m'faire la misère et ça date pas d'hier
Okay j'me rends, j'me prends ton doigt pointé sur moi chaque fois que je trouve mon souffle »
Cantat répond ici très habilement à tous ses détracteurs, à tous ces donneurs de leçons et ces bien-pensants que l’on croise partout ces dernières années. A la fin du morceau, un seul slogan reste dans nos têtes : « Amor Fati, ce qui est, est ! »
Bref, c’est un opus extrêmement surprenant qu’il faut écouter plusieurs fois pour réellement l’apprécier. Comme le dit un ami, un album de Cantat, c’est comme un bon repas. Il faut le faire mijoter et le faire réchauffer pour pouvoir réellement capter et apprécier toutes ses saveurs. Il suffit de se laisser transporter sans préjugés, d’écouter cette jolie voix pour être totalement conquis.