Cinéphilie obsessionnelle — 2024
Longs métrages uniquement.
↑↑ "Notre corps", de Claire Simon (2023) ↑↑
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Mois après mois, pour le meilleur et pour le pire des découvertes :
Janvier (1→82)
794 films
créée il y a plus d’un an · modifiée il y a 5 moisLe Train des épouvantes (1965)
Dr. Terror's House of Horrors
1 h 38 min. Sortie : 14 avril 1971 (). Épouvante-Horreur, Sketches
Film de Freddie Francis
Morrinson a mis 3/10.
Annotation :
Gentil petit navet britannique sans budget et sans prétention qui essaie tant bien que mal de cre son sillon dans l'horreur et le fantastique bien compartimenté, un film à sketches qui fait semblant d'avoir une certaine unité en exhibant un fil rouge extrêmement ténu. Un train, 6 personnages, et parmi eux un homme qui leur tire les cartes pour prédire leur avenir. Une prédiction = un sketch, un petit final sous forme de twist, est c'est tout. L'exercice est autant limité par son contenu (les saynètes s'enchaînent avec l'hétérogénéité qualitative inhérente aux genres — horreur + sketches) que par son ambiance (on imagine le budget rachitique à l'aune des effets spéciaux minables et minimaux, au point que ça en deviendrait presque touchant. Les premières cartes de tarot racontent une histoire, la dernière est censée révéler une alternative, mais cette dernière est systématiquement la mort. Petit kaléidoscope d'avenirs peu reluisants dans lesquels se démènent les stars de l'époque, Christopher Lee et Donald Sutherland entre autres, emmenés par un Peter Cushing plus "la mort dans Le Septième Sceau" que jamais, pour déboucher sur vraiment pas grand-chose. C'est cheap, d'intérêt négligeable, parfois catastrophique pour certains acteurs. Une histoire de loup-garou vengeur, une histoire de vigne mutante méchante, une histoire de musique vaudou, une histoire de main coupée en furie (préfigurant le navet à venir "The Hand" en 1981, mêmes si c'est le segment le mieux construit), et une histoire de vampire (probablement la pire de toutes). Une sorte d'ancêtre freluquet et moins jouissif de "Creepshow", bien que plus classieux.
Holgut (2021)
1 h 13 min.
Documentaire de Liesbeth De Ceulaer
Annotation :
Grande question : comment parvient-on à réaliser un documentaire aussi peu engageant sur la base d'un matériau aussi riche que ce que "Holgut" laisse entrevoir ? La cinéaste belge Liesbeth De Ceulaer est allée se perdre dans une région de Sibérie centrale, dans les forêts près de Iakoutsk, avec un projet sans doute plus poétique et expérimental que documentaire ou ethnographique. Vraisemblablement l'idée était d'observer deux aspects liés à la fonte du permafrost dans ce coin de Russie, dans un environnement où les températures moyennes s'échelonnaient jusqu'à présent autour de -40°C en hiver. D'un côté il y a ceux qui chassent (entre autres) le renne sauvage, animal en voie de devenir une créature mythique si l'on en croit le dispositif mis en place par le documentaire, et de l'autre ceux qui étudient un animal d'hier aujourd'hui mythique, le mammouth, à la recherche d'ossements fraîchement décongelés qui pourraient receler des cellules viables sur fond de vieux rêve de science-fiction pour, enfin, parvenir à cloner un de ces animaux.
Décors magnifiques, ambiance éminemment exotique dans cette toundra et dans ces forêts sibériennes, et récits duaux de gens qui chassent des animaux, vivants ou éteints... Liesbeth De Ceulaer a fait le choix d'une approche assez peu pragmatique, qui personnellement ne me parle pas un iota et donne l'impression de laisser de côté une quantité conséquente d'informations et de témoignages, tout en échouant — un comble — à magnifier ces paysages fabuleux. Il manque un parti pris, un projet clair qui aurait permis de suivre avec intérêt les deux groupes de personnes dans leurs activités respectives. En l'état ce mélange d'aspects scientifiques et ésotériques ne débouche sur rien, si ce n'est la frustration de ne pas saisir les enjeux de cette chasse au trésor singulière. "Holgut" ne dure que 1h15 et pourtant il en paraît le double, et manifestement cette sensation éprouvante est à relier davantage à la forme qu'au contenu, intéressant au demeurant.
Radioactive (2020)
1 h 50 min. Sortie : 11 mars 2020 (). Biopic, Drame, Romance
Film de Marjane Satrapi
Morrinson a mis 3/10.
Annotation :
Biopic de type "illustration paresseuse de la fiche Wikipédia associée", ce film de Marjane Satrapi est vraiment surprenant de sa part, pâle récit scolaire, académique, et englué dans ses conventions (scénaristiques, thématiques, de mise en scène) pour raconter l'histoire de Marie Skłodowska et future Curie. Manifestement ce qui plombe le plus violemment "Radioactive" tient au manque de concision dans le choix des sujets abordés, en plus de la manière franchement barbante d'énumérer les différents épisodes, pauvres sur tous les plans, sentimental, scientifique, dramatique. Rosamund Pike est incroyablement insignifiante dans ce film en son honneur, aux côtés d'un Sam Riley encore plus faible en Pierre Curie, et le portrait se pare d'images vraiment honteuses sur le plan dramaturgique — franchement, le coup de l'avion Enola Gay qui lance sa bombe sur Hiroshima en 1945 juste avant qu'on nous montre des images de la ville japonaise digne d'une carte postale, quel moment navrant. Ainsi Marie est scientifique ionnée, malmenée par l'institution dominée par les hommes (ce qui est un sujet, lui, ionnant, comment elle est parvenue non sans difficultés à s'y imposer), femme, amante, puis mère, ils découvrent les deux nouveaux éléments radium et polonium (la description des expériences ne permet aucunement de comprendre les enjeux, évidemment), ils obtiennent le prix Nobel, lui meurt, elle continue dans la célébrité et fricote avec Paul Langevin, elle obtient un second prix Nobel... C'est l'indigestion. Avec en prime le vieillissement artificiel de l'actrice pour nous faire avaler le tout sous la forme d'un méga flashback lancé au moment de sa mort, énième parti pris rebutant qui essaie de nous rendre sympathique une femme brillante et indépendante (ce qu'elle était) avec les pires moyens du monde biographique cinématographique. Désarmant de contre-productivité.
Avec Buster Keaton (1965)
Buster Keaton Rides Again
55 min. Sortie : 30 octobre 1965 (Canada).
Documentaire de John Spotton
Annotation :
En 1964, Buster Keaton se rendit au Canada pour réaliser avec Gerald Potterton et John Spotton un court-métrage intitulé "The Railrodder", le premier film depuis grosso modo la fin des années 1920 qui ressemblait à un film de Keaton, c'est-à-dire quelque chose qui ne soit pas le prétexte à seulement un caméo de sa part comme cela aura été le cas pendant ces trois décennies qui l'auront ablement lessivé (dépression et alcoolisme ont été au rendez-vous) et où il était sous contrat avec de grosses sociétés de production hollywoodiennes comme la MGM. Ce court-métrage n'est pas vraiment à la hauteur de ses meilleures collaborations ées avec Edward F. Cline ou encore Roscoe "Fatty" Arbuckle mais il s'est accompagné d'un documentaire tourné en parallèle, produit lui aussi par l'Office national du film du Canada, racontant le tournage et présentant Keaton vieillissant sous un nouveau jour, intime, assez unique qui lui vaut le détour. "Buster Keaton Rides Again" constitue une sorte de recueil de moments de tournage autant qu'une collection de témoignages de Keaton quelque temps seulement avant sa mort en 1966, et parvient à constituer une matière tendre et émouvante qui pourra être pertinente auprès de n'importe quelle personne amatrice de the Great Stone Face.
L'essentiel de ce court docu (au demeurant deux fois plus long que le court-métrage tourné de manière conte) montre l'envers du décor assez particulier, toute l'action ou presque étant située autour d'un de ces railroad speeders, un mini-wagon autonome circulant sur voie ferrée. On peut observer les interactions entre les 2 autres réalisateurs et Keaton, les différences de points de vue et les désaccords, et on ne sera pas vraiment surpris d'y trouver Keaton toujours aussi imible dans sa soixantaine que lorsque il avait vingt ou trente ans. Ces moments captés en marge du tournage sont des moments de mise en abyme simples mais précieux, gorgés de détails drôles renseignant sur son tempérament, ses habitudes, et accessoirement son mariage. Keaton se dévoile un peu en même temps qu'il traverse le Canada et en parcourt les paysages sur son mini-wagon, avec toute sa modestie et tout son charme. Plus que la part documentaire racontant son histoire, son enfance au cirque ou ses talents précoces, c'est bien davantage cette accumulation de petits moments bizarres autour de Buster qui en font tout le sel.
Les Enfants de la ruche (1948)
Hachi no su no kodomotachi
1 h 26 min. Sortie : 24 août 1948 (Japon). Drame
Film de Hiroshi Shimizu
Annotation :
Shimizu en mode mineur, ce qui reste de très loin agréable à regarder au titre du schéma presque exclusif chez lui du road movie peuplé d'enfants. L'épure du trait est toujours là, mais je trouve que ce qui était simple, beau et émouvant dans les années 30 muettes ("Des enfants dans le vent" et "Les Quatre Saisons des enfants") est devenu un peu plus artificiel, le geste presque forcé, à la fin des années 40 et avec la parole. Le récit est extrêmement ténu, puisqu’il s'agira simplement d'un soldat rapatrié (au terme de la Seconde Guerre mondiale) découvrant un groupe d'une dizaine d'enfants orphelins qui vivent en se débrouillant dans la misère. La situation initiale est posée très vite, ils obéissent à un unijambiste escroc, ils survivent en volant et revendant des bricoles, et le mouvement du film est annoncé dans la foulée, puisque le soldat prend les enfants sous son aile et les emmène dans le foyer où il fut en son temps lui-même réfugié.
L'essentiel des péripéties est là, le trajet de ce groupe formé autour du soldat traversant un Japon en ruines. Vision d'horreur parfois, notamment au détour d'une pause vers la fin du film dans la ville d'Hiroshima dévastée, dévastation totale assez surprenante que l'on peut voir dans ce qui ressemble à ce moment-là plus que jamais à une version nippone de « Allemagne année zéro » — les ruines sont les mêmes, en Allemagne ou au japon, et les tournages ont été réalisés la même année. Shimizu a fait tourner des enfants orphelins recueillis après la guerre et réunis autour d'une figure paternelle de substitution : cela constitue un des meilleurs points du film un peu faible au demeurant sur le fond du scénario, sur la mise en scène de vies extrêmement rudes, et sur le recours à la dramatisation dans le dernier temps. Une escalade toutefois mémorable pour aller voir la mer, ultime résignation devant la mort et dans un paysage dévasté.
Béhémoth - Le Dragon noir (2015)
Bei xi mo shou
1 h 35 min. Sortie : 1 décembre 2015.
Documentaire de Zhao Liang
Annotation :
D'entrée, avec son sens esthétique aiguisé, sa contemplation des horreurs humaines sur fond de paysages magnifiques, son attachement à décrire un aspect peu reluisant de l'exploitation des travailleurs, "Béhémoth - Le Dragon noir" rentre immédiatement dans la catégorie des documentaires marquants sur le sujet et ret des gros morceaux comme "Workingman’s Death" (Michael Glawogger, 2005) et Earth (Nikolaus Geyrhalter, 2019). Zhao Liang ajoute sa touche personnelle bien entendu par l'objet précis de son travail, le ravage (géologique et humain) causé par l'exploitation minière en Mongolie-Intérieure, mais aussi par la démarche très ouvertement poétique par endroits, avec des citations de La Divine Comédie de Dante, un homme posant nu et de dos au milieu des paysages filmés, ainsi qu'un personnage portant un grand miroir dans son dos rappelant le contrechamp et nous renvoyant à notre image.
Une chose est sûre, Zhao Liang est plus à l'aise au niveau des plans d'ensemble, lorsqu'il s'agit de filmer des mouvements d'envergure comme le ballet incessant des camions ou encore des détonations au milieu de carrières. Dans ces moments-là, ce n'est pas du niveau d'un Yuri Ancarani par exemple mais il y a une chorégraphie et une photographie très particulières qui se mettent en place et qui dégagent une éloquence certaine. On nous suggère fortement qu'avant d'être des mines de charbon, ces territoires immenses étaient des plateaux naturels où paissaient tranquillement des troupeaux par centaines. Désormais, ces lieux se sont transformés en la manifestation le plus sordide du processus de développement économique chinois, l'arrière-boutique que l'on garde soigneusement secrète, loin des yeux des ants concentrés sur la côte est.
Suite https://senscritique.voiranime.info/liste/Top_Films_2015/732263
La Véritable histoire d'Artaud le Momo (1994)
2 h 50 min. Sortie : 1994 ().
Documentaire de Jérôme Prieur
Annotation :
Le format est quand même un peu âpre : à peine moins de trois heures d'entretiens face caméra, quelques intervenants tous cadrés de la même façon sur fond noir, avec quelques inserts photos ou audio (comprenant des extraits du fameux "Pour En Finir Avec Le Jugement De Dieu") qui viennent de temps en temps reposer les yeux en faisant varier le contenu. Enfin, "reposer" : on parle tout de même d'Antonin Artaud et tout particulièrement de ses dernières années, à la suite de la crise de folie qu'il fit à bord du bateau qui le ramenait d'Irlande, à la suite de laquelle il era plusieurs années dans ce qu'on appelait alors l'asile public d'aliénés de Rodez. La tête d'Artaud, édenté et précocement vieilli, ne correspond pas vraiment à la définition qu'on pourrait se faire de "reposant".
Gérard Mordillat et Jérôme Prieur entendent au moyen de ce long documentaire brosser le portrait de l'ancien acteur et homme de théâtre, au travers d'une collection de témoignages de la part de ses amis. Nombre d'entre eux racontent d'ailleurs comment ils s'étaient organisés, à l'époque, 50 ans avant la sortie de "La Véritable histoire d'Artaud le Momo", pour obtenir la libération d'Artaud qui était alors en très mauvaise santé, pesant moins de 55 kilos et soumis à des séances d'électrochocs. C'est sur cette période que l'essentiel des témoignages et anecdotes se concentrent, ce qui peut paraître un peu assommant et très limité en termes de partis pris sur la fenêtre temporelle observée. Restent malgré tout des paroles diversifiées qui font émerger le destin somme toute assez terrible du poète (l'emprise des drogues et les dégâts des maladies) ainsi que le portrait forcément surréaliste d'un tel personnage, imprévisible, dérangé, excessif, totalement hors norme, capable de sombrer en un instant dans une rage folle contre n'importe qui ou n'importe quoi.
The Challenge (2016)
1 h 09 min. Sortie : 6 août 2016 ().
Documentaire de Yuri Ancarani
Annotation :
Aparté n°1 : premier film au format long de la part de Yuri Ancarani que je vois, le plus récent également, et très clairement il n'arrive pas à la cheville de ses brillants courts documentaires que sont "Da Vinci" (un système d’opération chirurgicale fonctionnant avec des bras robotisés) et "Il Capo" (un conducteur de travaux commande les engins dans une carrière de marbre), ainsi que dans une moindre mesure "Piattaforma Luna" (un univers sous-marin qui pourrait être le décor d'un film de science-fiction de Kubrick).
Aparté n°2 : après les caméras embarquées aux cous des chiens lancés dans la forêt à la recherche du champignon précieux dans "Chasseurs de truffes", voilà les caméras fixées sur la tête de faucons en plein vol. On se demande pourquoi personne n'y avait pensé avant.
Les travaux de Yuri Ancarani sont toujours absorbants, et à ce titre ionnants, tant ils parviennent à donner en seulement quelques plans un aperçu éloquent d'un microcosme précis, avec des cadres tranchants et une photographie soignée à l'extrême. Le format court permettait de rester scotché pendant quelques dizaines de minutes, le souffle coupé, ébahi par la beauté graphique et technique de ce qu'on nous montrait, et à mon sens le age au documentaire de 70 minutes est en partie responsable de la réussite inférieure de "The Challenge", consacré à la ion pour la fauconnerie chez les ultra-riches qataris. Le film regorge de visions proprement surréalistes et vaut le détour de manière inconditionnelle, c'est une certitude : ne serait-ce que pour les scènes montrant ces gens au volant de grosses Lamborghini dans le désert avec une guéparde en laisse sur le siège ager, ou encore dans leur jet privé réaménagé avec de nombreux perchoirs pour rapaces afin de pouvoir voyager avec leurs plus beaux spécimens.
Suite https://senscritique.voiranime.info/liste/Top_films_2016/1168571
Iwo Jima (1949)
Sands of Iwo Jima
1 h 40 min. Sortie : 18 août 1950 (). Guerre
Film de Allan Dwan
Annotation :
Petit saut dans le temps en ce qui me concerne pour laisser de côté la partie de la carrière d'Allan Dwan consacrée au muet, pour atterrir en pleine Seconde Guerre mondiale. Quelques années après la fin de la guerre, Dwan réalise ce film qui remplit toutes les cases du film de guerre patriotique états-unien de la période et porte un regard sur l'entraînement des troupes avant de les lancer dans deux batailles en lien avec Iwo Jima. C'est un film qui semble vraiment sur mesure pour John Wayne en lui conférant ce rôle pétri de clichés (vu d'aujourd'hui) et déjà vu des dizaines (ci ce n'est des centaines) de fois, un sergent dur avec ses ouailles mais qui, dans le fond, a un grand cœur, le genre à balancer des grosses patates comme autant de signes d'affection, évidemment. Le gros bourrin de GI qui aura é sa vie à malmener ses soldats mais ces derniers comprendront spontanément, une fois sur le champ de bataille, le sens de son saint apprentissage, en même temps qu'ils découvrent une lettre adressée à sa famille révélant le pan sensible de sa personnalité qu'il n'avait jusque-là jamais laisser filtrer... En un sens, une énième variation du portrait de ces hommes virils "tough but comionate" que John Ford s'évertuera de décrire durant sa carrière et qui, personnellement, ne m'intéresse pas un iota au-delà de l'importance historique. On pourrait trouver des prolongements plus récemment dans le dernier temps de la filmographie de Clint Eastwood.
Des torrents de "beaux" sentiments donc, des entraînements durs, des combats durs, et toutes les fêlures qu'il faut sous la carapace de dur à cuire, avec des gens qui se détestent mais qui en fait, dans le fond, s'apprécient sans oser se le dire. Seul vrai point positif du film à mon sens, la mise en scène des séquences de débarquement sur l'île de Tarawa et celle d'Iwo Jima — avec la célèbre prise du mont Suribachi interprétée par d'anciens soldats survivants ayant participé à l'événement réel, sous la forme d'un caméo. C'est patriotique à mort (sans faire des ennemis des diables non plus, certes), c'est le rouleau-compresseur de l'héroïsme qui donne l'impression d'être tempéré par la peur et l'incompréhension des soldats dans la boucherie, avec un petit aspect consacré à l'absurdité des carnages. Mais le résultat est le même.
Le Contour de la nuit (1964)
Yoru no henrin
1 h 49 min. Sortie : 1964 (Japon). Policier, Drame
Film de Noboru Nakamura
Annotation :
Récit dramatique classique mais néanmoins très classieux sur, côté féminin, l'engrenage de la prostitution et, côté masculin, l'engrenage du monde des yakuzas. À l'interface entre ces deux mondes, on se doute que les frictions vont provoquer des étincelles et ce film de Noboru Nakamura le racontera avec beaucoup d'élégance, faisant de "Le Contour de la nuit' un élément attrayant du cinéma japonais du milieu des années 1960. Finalement la première chose qui frappe est d'ordre esthétique : pour représenter le monde de la nuit dans lequel la protagoniste interprétée par Miyuki Kuwano évolue, ce sont les couleurs un peu blafardes des néons nocturnes qui envahissent en premier lieu l'espace. Cet écrin graphique est probablement la plus grande contribution à l'ambiance particulière d'un film qui, peu à peu, s'orientera vers un mélodrame sentimental dont on connaît assez bien les ressorts. Un homme et une femme se rencontrent, s'apprivoisent, tombent amoureux, mais rapidement quelques secrets du é ressurgissent et feront basculer la romance vers le tragique.
La maîtrise formelle de Nakamura confère au récit par ailleurs relativement attendu une empreinte légèrement irréelle, un voile emprisonnant l'héroïne dans sa condition — avec son petit ami lui-même prisonnier de la mafia, la violence aura tôt fait de s'insinuer dans leur relation. Le portrait de ce dernier a du mal à rivaliser dans la finesse avec celui de la femme, les mécanismes de manipulation et de domination qui se mettent en place ant par des archétypes peu travaillés : le violent, le désœuvré, le pathétique, etc. Le point culminant de l'enfer dans lequel le couple s'est retrouvé piégé (enfin, c'est surtout elle qui en paiera le prix fort) sera mis en exergue par l'ellipse et le hors champ, lui impuissant devant les conséquences de son comportement teinté de duplicité, elle victime de la mafia qui lui fera comprendre durement qu'aucune échappatoire n'est possible.
Le mal n'existe pas (2023)
Aku wa sonzai shinai
1 h 46 min. Sortie : 10 avril 2024. Drame
Film de Ryusuke Hamaguchi
Morrinson a mis 4/10.
Annotation :
Ryūsuke Hamaguchi a un style bien à lui et ce dernier s'exprime dans des registres assez différents, plutôt opposés à mon sens, parfois plus proches de la caricature rohmérienne réactualisée (je n'ai toujours pas digéré "Contes du hasard et autres fantaisies"), et d'autres fois plus adroit dans la manipulation de certaines subtilités ("Drive My Car"). Même si "Le mal n'existe pas" appartiendrait davantage à la seconde catégorie, il ne m'a jamais embarqué dans son voyage au cœur de la nature car la beauté des lieux qu'il capte magnifiquement n'aura jamais suffi à contrebalancer la lourdeur de ses thématiques et ses jeux de contraste.
La première partie est consacrée à la présentation d'une petite famille et d'un petit village perdus au milieu de la forêt, un endroit où tout le monde est montré vivant en harmonie avec la nature. C'est très beau. Quelques effets sont réussis, comme notamment les travellings lents en forêt accompagnés d'une musique qui s'interrompt brutalement, suscitant un sentiment d'inconfort assez inhabituel. Face à eux, les représentants du mal urbain, avec un projet de construction d'un camping glamour baptisé "glamping", et c'est à partir de ce moment-là que les choses se gâtent, avec une profusion de clichés vraiment désagréables et peu intéressants. Les méchants sont cupides et opportunistes, ils veulent construire leur centre qui va dégueulasser la nature en enfumant les villageois, la question de la fosse septique est posée comme le point névralgique d'une problématique très artificielle, et sur fond de entre deux mondes, l'un des représentants aura une révélation en fendant une bûche — une scène affreusement mal tournée d'ailleurs, tellement on voit l'acteur rater les 4 ou 5 premiers coups pour soudainement réussir après avoir reçu les conseils du campagnard. Je ne serai pas le dernier à vanter le plaisir du merlin pour couper des bûches en forêt, mais enfin, c'est une vision de l'équilibre et de son bouleversement franchement risible.
Le seul début de questionnement intéressant tient à mes yeux au caractère inquiétant de la nature qui se révèle aux citadins un peu trop naïfs, mais finalement les bouleversements ne seront pas vraiment au rendez-vous. Avec en prime la fameuse scène finale mystérieuse (sans doute pas tant que ça, cerf blessé, homme qui s'agite, on peut comprendre) pour faire parler de d'elle.
Ça tourne à Séoul ! Cobweb (2023)
Geomijib
2 h 13 min. Sortie : 8 novembre 2023 (). Comédie dramatique
Film de Kim Jee-Woon
Morrinson a mis 3/10.
Annotation :
Énième manifestation de la mise en abîme cinématographique servant d'autoportrait pour son auteur, après les Spielberg, Cuarón, Chazelle, Hazanavicius, etc. La liste est interminable rien qu'en se concentrant sur les dernières années et c'est quand même très rarement une réussite il me semble, et malheureusement le duo Song Kang-ho / Kim Jee-Woon acteur et réalisateur n'inverseront pas la tendance à l'occasion de "Ça tourne à Séoul !". Kim n'a jamais été un chantre de la subtilité, c'est plutôt un grand amateur de grotesque à la coréenne, mais ici en croisant son style excessif avec des préoccupations pareilles (un réalisateur essaie de tourner les dernières scènes de son film dans les années 70), on aboutit à un gros morceau de putasserie qui se fait en plus pénible par sa durée démesurée étant donné son propos.
Très peu d'intérêt dans ce film dans le film, à quelque niveau que ce soit me concernant. Le tournage est un ballet où défilent les principaux intéressés, auteurs, acteurs, producteurs, censeurs... C'est un gros bordel, ça déborde de personnages secondaires dans tous les sens, ça embraye sur des révélations et des crises d'hystérie, bref, tout pour me crisper. Je suppose que le chaos résultant est censé être le cœur de l'ensemble mais c'est avant tout un désordre désagréable au sein duquel un réalisateur essaie péniblement de terminer son chef-d'œuvre (il sera même adoubé lors de la scène finale). Un film qui n'a pas grand-chose à dire sur le genre du "film dans le film" et qui se contente de manier des clichés à la sauce coréenne. La satire qui évolue au milieu d'un défilé d'égocentrismes, d'artistes contraint et de critiques cruels est assommante.
Late Night with the Devil (2023)
1 h 33 min. Sortie : 28 août 2024 (). Épouvante-Horreur
Film de Colin Cairnes
Annotation :
Une histoire de paranormal horrifique déjà vue des centaines de fois (a minima) mais emballée dans une mise en scène qui s'est un peu creusée les méninges pour donner l'impression de faire quelque chose de différent : d'un côté on a envie de saluer l'effort, de l'autre on constate que la poudre aux yeux ne dure pas très longtemps. En 5 minutes d'introduction la fratrie australienne de réalisateurs pose un cadre qui dessine le contour d'un mockumentary et d'un found footage : on est dans les années 70, et un présentateur de talk-show peine à maintenir à flot son émission dans les années qui ont suivi la mort de sa femme. Il a recours aux pires procédés et ne connaît aucune limite morale pour booster les audiences, et une émission s'est particulièrement mal ée : "Late Night with the Devil" se présente comme une cassette que l'on visionnerait, montrant l'émission en question ainsi que des séquences backstage pour contextualiser les événements.
Manifestement c'est l'argument-massue du film : le soin apporté à rendre une ambiance rétro est tangible immédiatement et c'est quand même très réussi sur ce point. Le grain, les cut, les costumes, les ambiances, tout renvoie aux années 1970, et on navigue entre le devant et le derrière de la scène au moyen d'un petit subterfuge couleur / noir & blanc qui fonctionne bien. On peut lire que certaines images ont été générées par IA en revanche, j'avoue ne pas trop comprendre l'intérêt vue la nature de l'argument présenté ici, sorte de variation sur le thème de Blair Witch.
Après, tout le fond est lié à une soirée d'Halloween à la télé qui tourne mal, voire très mal, avec irruption du surnaturel au travers d'une histoire de fille possédée. Ça commence doucement, avec un médium qui prend cher tout en maintenant le doute (mise en scène ou non ?), puis ça devient lourdingue avec l'ex-magicien sceptique (caricature de zététicien particulièrement désagréable, en un sens un peu réussi) avant de rebasculer dans l'horreur plus classique, hommage très clair à Friedkin et "L'Exorciste". Au-delà du plan technique très abouti, le scénario essaie de renouveler un genre qui peine à innover et ne réussit pas vraiment. C'est plein de longueurs, beaucoup d'incohérences rythment les révélations, mais on peut dire qu'il y a un certain charme dans cette vision de l'occulte très 70s.
Un héros de notre temps (1955)
Un eroe dei nostri tempi
1 h 30 min. Sortie : 26 août 2015 (). Comédie
Film de Mario Monicelli
Annotation :
Comédie italienne du (plutôt) début de carrière de Mario Monicelli et Alberto Sordi, qui s'illustre à mon goût en premier lieu par son côté extrêmement poussif. Sordi incarne le rôle qu'on connaît parfaitement et qui lui va certes bien, un pleutre, timide et peureux, qui traverse le film dans un torrent ininterrompu de répliques en ant d'une mésaventure à une autre sans discontinuer. Le procédé est basé sur un schéma répété à l'infini, le mensonge causé par sa crainte l'embarque dans des situations impossibles sans cesse renouvelées : autant on peut rigoler au début, lorsqu'on le découvre dans son tissu de contraintes formé par son emploi (un patron façon big brother qui épie toute l'entreprise avec ses micros/ haut-parleurs omniprésents), sa supérieure (qui est amoureuse de lui sans réciprocité) et son foyer (sa tante et une vieille gouvernante), autant on se désolé progressivement tant "Un héros de notre temps" ne cherche jamais à proposer une formule ne serait-ce que légèrement différente. Il est calé dans son sillon et n'en dérogera pas pendant 1h30, dommage.
Comme souvent chez Monicelli la comédie avance avant tout sous la forme de la satire et dépeint des parties peu reluisantes de la société italienne de l'époque (les années 50, pas tout à fait libérées du fascisme). Le film multiplie les traits d'esprits illustrant la mentalité du héros, du genre "Je ne suis pas un lâche, ma chance, c'est d'être prudent", mais finalement cette image veule et opportuniste (malchanceux aussi, malgré tout) tourne assez vite en rond. Le final où on le voit partir, engagé vite fait dans l'armée italienne pour fuir les deux options (deux femmes, deux vies) qui s'offraient à lui par manque de capacité à décider, tombe comme un cheveu sur la soupe, consécration de sa lâcheté mais surtout énième répétition. Symbole absolu de celui qui éviter à tout prix le conflit — à noter une petite séquence faisant intervenir un certain Carlo Pedersoli (pas encore Bud Spencer, donc) devant la porte de la fille qu'il courtisait.
Bravados (1958)
The Bravados
1 h 38 min. Sortie : 1 octobre 1958 (). Western, Drame
Film de Henry King
Annotation :
Avec le western classico-classique des années 40-50, j'ai personnellement le sentiment qu'on a tendance à tout le temps surévaluer les petites touches qui participent à l'histoire de la transformation du genre, à savoir tout ce qui fera que le genre quittera peu à peu son système de valeurs ultra-codifié et manichéen pour explorer des territoires plus ambivalents et plus riches sur le plan moral ou intellectuel. Il suffit qu'on relève des traces de nuances, quelles qu'elles soient, et ça y est, on a affaire à un western avant-gardiste et qualitatif, alors que sur le plan purement logique, tout ce qu'on peut conclure c'est qu'il s'agit de quelque chose de simplement mieux que le western traditionnel pétrifié dans sa recette surannée.
Le film appartient à cette catégorie de westerns qui entendaient embrasser des discours allant à l'encontre de la traditionnelle célébration des valeurs machistes de l'ouest américain, vengeance, violence, etc. Les ficelles sont grosses mais elles n'empêchent pas d'apprécier le récit de cet homme mystérieux incarné par Gregory Peck, débarquant dans une ville où va avoir lieu 4 pendaisons pour les contempler. On comprend tout de suite qu'il a subi lui-même des horreurs au sein de son foyer, et que ceux qu'ils croyaient être les assassins de sa femme ne le sont pas. "The Bravados" en fait beaucoup, et ce n'est pas très fin, cette révélation progressive qui est censée déboucher sur l'une des dernières scènes où le héros est confronté à celui qu'il croit être son antagoniste, mais qui se révèle être un bon père de famille totalement innocent (enfin, pour ce qui le concerne personnellement du moins). L'histoire est farcie de facilités et de choses questionnables (l'histoire du mensonge du vrai coupable est ténue), mais elle illustre l'aveuglement par ce désir de vengeance qui a structuré le genre pendant des années.
Les "méchants" ont beau clamer leur innocence, Peck s'en balance royalement et les assassine froidement. C'est là que le film est le plus intéressant, lorsqu'au terme de son périple, il se voit acclamé par la foule alors qu'il s'est magistralement planté sur toute la ligne. Il a tué des bad guys (Henry Silva et Lee Van Cleef, entre autres), mais pas pour les bonnes raisons... À côté de ça, de nombreuses chevauchées nocturnes bleutées, une condamnation de la justice expéditive, et une rédemption religieuse concluant un parcours jonché de culpabilité. Poussif, mais curieux.
Le Quatrième homme (1952)
Kansas City Confidential
1 h 39 min. Sortie : 22 avril 1953 (). Policier, Film noir, Drame
Film de Phil Karlson
Annotation :
Le film noir a été le par excellence de l'enquête policière, il me semble, au cours des années 1940 et 1950 : avec ses archétypes et sa ligne de démarcation très nette entre le bien et le mal, il a très régulièrement été le vecteur d'un témoignage en immersion au sein de l'institution policière (avec ou sans description omnisciente des agissements des malfaiteurs) pour en vanter les mérites et pour détourer à traits épais les contours d'une morale souvent pataude, avec le recul. Certaines approches relèvent même du semi-documentaire, en relation avec la volonté de décrire en détails les événements ou de retranscrire des faits réels, versant parfois dans le panégyrique — comme par exemple le peu connu "He Walked By Night"de Alfred L. Werker et Anthony Mann (1948) vu récemment.
Alors forcément, quand la recette subit quelques modifications notables, le résultat détone. "Le Quatrième Homme" (Kansas City Confidential en version originale, tant qu'à y être, afin de limiter la confusion avec la version française du titre du film de Paul Verhoeven) se présente sous la forme d'une variation de film noir, amorçant son intrigue dans les règles de l'art : préparation d'un gros coup par une bande de malfrats, mise à exécution, et gestion des suites avec tout son lot d'imprévus. L'intérêt du film de Phil Karlson survient assez vite : c'est un projet se basant sur le détournement de nombreux codes et ages attendus du genre, et le moindre écart vis-à-vis du registre aussi solidement codifié que le film noir provoque des effets surprenants et agréables.
On est au tout début des années 50, c'est-à-dire pas tout à fait l'époque de questionnements moraux clivants répandus en place publique, et "Kansas City Confidential" fait mine de prolonger le classicisme manichéen du film policier, dans un premier temps (les voyous sont des salauds prêts à tout, les policiers des hommes à la recherche du bien, un encart initial nous prévient : "It is the purpose of this picture to expose the amazing operations of a man who conceived and executed a perfect crime"), pour mieux le dévoyer en cours de route. …
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La Loi du silence (1953)
I Confess
1 h 35 min. Sortie : 24 juin 1953 (). Thriller, Drame
Film de Alfred Hitchcock
Morrinson a mis 4/10.
Annotation :
"I Confess" a tout du film classieux, thriller mené à la lisière du film noir par Hitchcock entre deux gros morceaux ("L'Inconnu du Nord-Express" en 1951 et "Le crime était presque parfait" en 1954), avec son beau Montgomery Clift en soutane prisonnier de son silence de confesseur, une intrigue-enquête qui se resserre autour de son cou. Ça aurait très bien si tout le film ne reposait pas sur une stupidité de scénario qui flingue absolument tout le travail accompli pour faire monter la pression et circonscrire un drame moral autour du protagoniste. Mon aversion pour l'institution religieuse, au même titre que l'institution politique, ne m'empêche pas d'être sensible aux thèmes qu'elles brassent : aussi, ce n'est vraiment pas une question de rejet lié à ce qui est exploré ici, le secret, la culpabilité, la trahison, etc. Le scénario (Hitchcock n'a pas participé à son écriture, pour sa défense) ne fait rien pour rendre le dilemme dans lequel Clift de fourre tangible, intéressant, crédible, vraisemblable. Le cas de conscience qui se pose à lui m'apparaît comme artificiel et stupide.
Si on l'accepte comme tel, alors oui le déroulement du film focalisé sur la machine judiciaire se retournant contre le père Logan peut être prenant, lui l'innocent qui se voit rendu coupable du crime de celui qui est venu se confesser. Le regard des habitants, le comportement de la police, la réaction de la justice, tout participe à la création d'un mélodrame terrible. Même si c'est un peu forcé, la superposition des deux mobiles derrières le meurtre (un homme pourrait l'avoir fait pour l'argent, l'autre pour protéger son ex-fiancée) est un carburant acceptable et donne lieu à quelques séquences sympathiques — quand on voit le e dé Clift à travers les yeux amoureux d'Anne Baxter, par exemple, avec tout un sous-texte dédié à la frustration sexuelle latente.
J'ai le sentiment qu'on me laisse là, face à cet échange de responsabilité individuelle, avec un transfert de culpabilité hallucinant et qui illustre bien comment Hitchcock échoue à rendre la chose inéluctable. Sans être vraiment inculte en matière de catholicisme (au sens de la confession, opposée au protestantisme qui se e d'intermédiaire humain), opposition entre le vœu pieux de ne pas trahir un engagement religieux et la nécessité de prouver son innocence m'a paru artificielle. Un concept de fiction, jouant avec d'autres oppositions (la femme du tueur et l'inspecteur joué par Karl Malden) aussi molles.
Happiness of Us Alone (1961)
Na mo naku mazushiku utsukushiku
2 h 10 min. Sortie : 14 août 1962 (). Drame
Film de Zenzô Matsuyama
Annotation :
La dure condition du couple ou de la famille dans le Japon d'après-guerre qui se bat pour vivre dignement, ce n'est pas un sujet particulièrement nouveau au début des années 1960. En revanche, le traitement de ce thème à travers le prisme de deux amants sourds-muets l'est bien davantage (anticipant la chronique de Kitano dans "A Scene at the Sea", 30 ans plus tard), et il faut croire que l'écrin de la mise en scène de Zenzô Matsuyama parvient à jouer avec ce paramètre supplémentaire d'un mélodrame déjà bien chargé sans en alourdir la trajectoire de manière préjudiciable. C'est quand même assez notable, car la liste des misères s'abattant sur les protagonistes est longue : pays dévasté au lendemain du conflit, épidémie de maladies mortelles telle le typhus, mort du mari, difficultés économiques drastiques pour dre les deux bouts... Et pourtant, même si le tableau présente régulièrement la surdité des deux personnages comme un handicap supplémentaire, comme la surcouche en prime qui s'ajoute à l'acharnement du sort, "Na mo naku mazushiku utsukushiku" (Happiness of Us Alone) n'en fait jamais une circonstance aggravante aux yeux des principaux intéressés.
Bien sûr, l'entourage voit cela comme une tare, comme des conditions précaires appuyées, voire comme un obstacle dangereux à la survie, autant de raisons censément légitimes pour imposer des barrières supplémentaires — ne pas se marier avec une autre personne sourde, ne pas avoir d'enfants, etc. Mais c'est là que le mélodrame japonais parvient à tirer son épingle du jeu, Hideko Takamine et Keiju Kobayashi forment un couple qui se reconstruit contre vents et marées, à l'image du pays, à force de ténacité et de persévérance. C'est à mes yeux la principale limitation de cette tragédie sentimentale, puisque le scénario insiste très lourdement sur le versant moral de cet épisode et sur la nécessité des citoyens (même les moins favorisés) d'aller de l'avant, de sans cesse se déer, de toujours fournir plus d'efforts (et avec le sourire s'il vous plaît) même quand on en est réduit à devoir cirer les pompes des soldats américains pour quelques kopecks.
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Pollock (2000)
2 h 03 min. Sortie : 10 septembre 2003 (). Biopic, Drame
Film de Ed Harris
Morrinson a mis 4/10.
Annotation :
Conforme à ce qu'on peut en attendre, c'est-à-dire un biopic académique dans sa mise en scène, sa narration, ses thématiques, et très conventionnel dans sa fonction, à savoir produire un résumé en image de la page Wikipédia d'un peintre renommé. On est loin d'un "Andreï Roublev" ou d'un "Love Is the Devil" (sur Francis Bacon), pour le dire autrement. Après on sent Ed Harris sincèrement impliqué dans le projet, des deux côtés de la caméra, attaché à retranscrire cette existence faite de déchéance (matérielle notamment) pour un artiste que l'on connaît aujourd'hui avec sa grande réputation, acquise tardivement. Ce n'est pas vraiment un film qui dépeint une atmosphère, les années 40-50 aux États-Unis étant réduites à quelques motifs extrêmement convenus : "Jackson Pollock" se concentre plutôt sur l'environnement directe du peintre avec sa femme (Marcia Gay Harden), sa famille, et quelques représentants du monde de l'art contemporain. On croise de manière anecdotique Val Kilmer en Willem de Kooning et Jennifer Connelly en Ruth Kligman, et on e sagement par tous les archétypes de l'artiste tourmenté au comportement autodestructeur — indépendamment de la véracité des faits, c'est très pauvre sur le plan cinématographique. Ce sont bien sûr des illustrations très hollywoodiennes des techniques de peinture, all-over et dripping, dont le degré de convention ret celui de la description de sa vie dans le dénuement et du monde des collectionneurs.
Il y a une réplique plus drôle que les autres quand même : un journaliste de Life lui demande "How do you know when you're finished with a painting?", ce à quoi il répond "How do you know when you're finished making love?". Dommage que le canevas du biopic conventionnel ne soit pas plus bousculé que ça.
Un homme voit rouge (1974)
Ransom
1 h 34 min. Sortie : 14 mai 1975 (). Drame, Thriller
Film de Caspar Wrede
Morrinson a mis 3/10.
Annotation :
Thriller un peu mou sur fond de conflit (on le comprendra seulement à la fin) d'espionnage entre plusieurs pays, avec une prise d'otages dans un avion par des terroristes (Ian McShane figure parmi eux) et une autre prise d'otages avec une configuration différente, un ambassadeur britannique et un autre groupe terroriste. Le tout se e dans un pays fictif, la Scandinavie, et on suivra un peu péniblement les interactions entre les deux groupes qui communiquent sans qu'on ne comprenne grand-chose, avec entre les deux la sécurité nationale représentée par plusieurs personnages dont un interprété par Sean Connery qui est plutôt proactif en matière d'intervention. C'est très poussif, que ce soit la mise en scène des prises d'otages qui sent la naphtaline, la dynamique des rapports de force entre les différents groupes, et les forces à l'œuvre pour la résolution du conflit. Connery e au travers du films comme s'il était absent, sans intérêt manifeste, avec de nombreux moments censés participer à la montée de la tension (atterrissage perturbé de l'avion par les méchants, tentative officieuse de mise hors d'état de nuire, etc.) mais tout à fait inefficaces, et ce final qui sort vraiment de l'espace avec révélation sur l'identité d'un des terroristes de l'avion, fusillade générale, et plot twist vraiment pas étayé.
Mes petites amoureuses (1974)
2 h 03 min. Sortie : 7 juin 2023 (). Comédie dramatique
Film de Jean Eustache
Annotation :
L'avantage de s'être durablement exposé aux méthodes de Bresson (pour le meilleur) et Rohmer (pour le pire), c'est que le style narratif très particulier de "Mes petites amoureuses", avec ses saynètes discontinues qui s'enchaînent, sa voix off particulièrement erratique, et sa direction d'acteur toute en théâtralité contenue concernant Martin Loeb dans le rôle principal de Daniel, paraît très abordable. Ce dernier marche dans les pas d'un Jean-Pierre Léaud, entreprenant, maladroit, émouvant, et au travers de sa rencontre avec le monde des adultes et de sa découverte de la sexualité, alimente un portrait très attachant des premiers remous de l'adolescence. Ballotté entre la campagne bordelaise bienveillante avec sa grand-mère et le monde plus dur de sa mère habitant à Narbonne, il donne l'occasion d'observer une chronique un peu triste en plusieurs fragments de désillusion, à différents degrés de violence et d'amertume.
Une fois cette étape acquise (moins difficilement que les références citées précédemment, il faut reconnaître), la formule peut alors délivrer tout son potentiel, toute son ironie, et tout son charme. Eustache embraye très vite sur cette façon d'allier les véritables tressaillements existentiels propres à l'adolescence (et en particulier la découverte du corps de l'autre) et les ages à caractère presque burlesque (l'une des premières scènes raconte l'éveil du désir à l'église). En ce sens on n'est absolument pas surpris de voir débarquer Maurice Pialat en tant qu'acteur dans un rôle aussi minuscule que mémorable, à un moment où le garçon est confronté au monde du travail (forcé par sa mère en l'occurrence, qui l'a sorti de l'école) pour en constater les rapports de force et les déséquilibres.
Toutes ces précautions prises, le format de la chronique (avec des scènes qui s'interrompent et qui se succèdent brutalement) adopté par Eustache correspond très bien aux réminiscences de l'adolescence, aux souvenirs parcellaires qui se structurent autour de quelques moments marquants. Des élans joyeux pour la découverte des sentiments (voire parfois des simples gestes, presque mécaniques, par reproduction) aux imes marquées par leur amertume (un désespoir doux mais tenace rôde partout dans "Mes petites amoureuses"), c'est un film qui évoque le désenchantement adolescent dans tout ce que le sentiment a d'universel, et en prime avec une rare authenticité.
Iris et les hommes (2023)
1 h 38 min. Sortie : 3 janvier 2024. Comédie
Film de Caroline Vignal
Morrinson a mis 3/10.
Annotation :
J'avais sans doute un peu surévalué le film précédent de Caroline Vignal car il avait une certaine originalité et c'était un de mes premiers s avec Laure Calamy, mais c'est assez hallucinant de constater le niveau de "Iris et les hommes", comédie incroyablement déée par les événements qui essaie de raconter l'histoire d'une femme mariée redécouvrant sa libido à l'aide d'une application de rencontres. On dirait un film à destination des plus de 60 ans, de ceux qui n'ont jamais entendu parler de Tinder, et plus généralement de ceux qui n'auraient jamais vu une comédie romantique traitant du sexe. C'est d'un convenu atterrant, avec répétition de gags navrants (au bout de la quinzième fois où le vibreur de son téléphone interrompt une action pour cause de notification, ça met en pétard quand même), tout en donnant l'impression de montrer quelque chose de super osé et original alors que c'est un ratage magistral sur les deux lignes. Le duo Laure Calamy / Vincent Elbaz ne fonctionne à aucun moment, les rencontres avec des inconnus sont l'occasion de matraquer des clichés lunaires (il n'y a que Laurent Poitrenaux qui parvient à installer une gêne et une bizarrerie surprenantes)... Bref, on voit tellement le script à destination de Calamy l'enjoignant d'incarner "une femme pétillante" et de tout faire pour illustrer un caractère "décomplexé", ça me tue. L'agacement se fait de plus en plus tranchant à mesure que Vignal déroule les mêmes choses sans parvenir à déer le stade du bac à sable de l'émancipation sexuelle et féminine. Même les tentatives de ruptures narratives sont à l'ouest, à l'image du segment comédie musical sur l'air de "It's Raining Men", moment franchement gênant. Échec.
Un silence (2023)
1 h 41 min. Sortie : 10 janvier 2024 (). Drame
Film de Joachim Lafosse
Morrinson a mis 3/10.
Annotation :
Joachim Lafosse semble répéter la même formule en variant juste les sujets, du moins à l'échelle de ses 5 ou 6 derniers films : on touche à une certaine notion de caricature du drame français, avec des êtres torturés, des pathologies qui font souffrir des personnes et des entourages, des tragédies qui se finissent mal... Il avait déjà adapté sous ce format précis une affaire criminelle dans "À perdre la raison", et d'ailleurs Daniel Auteuil et Emmanuelle Devos avaient déjà joué ensemble dans un format identique ("L'Adversaire" de Nicole Garcia, inspiré d'un énième fait divers sordide). Cette fois-ci, c'est sur l'avocat belge Victor Hissel que l'adaptation porte, qui avait été hyper médiatisé lors du procès de Marc Dutroux. Honnêtement je ne suis pas sûr qu'il aurait été possible de faire un chef-d’œuvre, de fiction ou du documentaire, sur ce sujet archi glauque, le comble de l'avocat censé défendre des familles victimes dans cette affaire abjecte qui se trouve lui-même accusé dans une affaire de matériel pédopornographique.
En tous cas Lafosse ne fait pas dans la demi-mesure et e l'essentiel de son temps à montrer l'intérieur sclérosé de cette famille bourgeoise, vivant comme en apnée, avec de nombreuses séquences nocturnes, avec un petit côté cousin du cinéma de Haneke dans la semi-fascination pour le mal qu'on ressent de temps en temps. Mais bon, ici vraiment on filme souvent du vent (et de l'ombre), ou plutôt du silence : tous les protagonistes le sont, silencieux, c'est une certitude, et manifestement "Un silence" se complaît dans cette observation. Le silence de l'épouse qui s'est tue concernant le if de son mari afin de maintenir un minimum d'équilibre dans son foyer, un minimum assez bas d'ailleurs — la fille est partie vivre ailleurs, une plainte est déposée contre l'avocat par le père d'un ado, etc. Ce n'est pas vraiment un film de révélation, mais c'est un film qui a beaucoup de plaisir à travailler cette fibre du "secret enfoui qui menace d'éclater au grand jour", en jouant par l'entremise du flashback sur différents niveaux de culpabilité. Dans l'introduction c'est le fils qui est incriminé pour avoir tenté d'assassiner son père à coups de couteau, mais c'est le portrait du père qui finit par emplir l'espace de toute sa laideur et de toute sa manipulation. La contemplation de cette famille bouffée de l'intérieur ne m'apporte en tous cas pas grand-chose de nourrissant à force de circonvolutions et de suggestions pleines d'emphase.
Kwaïdan (1964)
Kaidan
3 h 03 min. Sortie : 15 mai 1965 (). Épouvante-Horreur, Fantastique, Sketches
Film de Masaki Kobayashi
Annotation :
J'aime beaucoup Kobayashi (mais en réalité sur la base de seulement deux films vus, on ne peut pas dire que ce soit une statistique très robuste), le cinéma japonais de la décennie 1960s est souvent synonyme de réjouissance... Autant dire que rester circonspect devant "Kwaïdan" relève déjà en soi de l'hérésie. On ne peut pas vraiment dire non plus que la déception ait trait au caractère fragmenté du film à sketches, souvent synonyme d'hétérogénéité et de superficialité : ici on prend le temps de développer la plupart des récits, au nombre de 4 et s'étalant sur près de trois heures, avec une remarquable continuité thématique entre les différents segments. Le souci n'est donc pas à ce niveau.
Personnellement j'ai subi un affront dès les premières images : à de rares exceptions près (quelques films de Ozu, "Ran" de Kurosawa, par exemple) je trouve que la couleur pour ce type de film, historique ou résultat de l'adaptation du folklore national et produit avant les années 80, est une belle abomination. Sans doute que le noir et blanc participe à maintenir une illusion en dissimulant certaines finitions en matière de costumes et de décors, sans doute aussi que les caméras couleur à l'époque n'étaient pas du tout aussi performantes que les autres, mais alors là, le tournage en studio se ressent brutalement. Il a beau avoir duré un an, il a beau s'être déroulé sous la direction experte de Kobayashi, j'ai quoi qu'il en soit beaucoup souffert de cet environnement qui transpire le carton-pâte, les toiles tendues en arrière-plan, et les costumes qui semblent provenir des productions HK de l'époque type Shaw Brothers. C'est du studio de luxe, très certainement, mais ça reste du studio avec toutes ses contraintes et toutes ses limitations pour figurer des imaginaires aussi baroques. Le coup est dur, vraiment.
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Love Lies Bleeding (2024)
1 h 44 min. Sortie : 12 juin 2024 (). Drame, Romance, Thriller
Film de Rose Glass
Morrinson a mis 3/10.
Annotation :
"Love Lies Bleeding" est à mes yeux un film assez creux qui essaie de camoufler sa vanité sous deux tapis différents, le vernis de l'ambiance rétro 80s (qui est régulièrement convoquée dans le cinéma de ces dernières années) et l'embardée féministe à tendance homosexuelle qui entend proposer une redéfinition de certains codes et certains genres. Le film de Rose Glass tombe en ce sens pile-poil entre deux autres qui embrassaient chacun une de ces composantes, "Road House" et "Drive-Away Dolls" respectivement. De manière assez étonnante, je trouve que les trois avancent de la même manière, avec leur potentiel maigre mais véritable, leur côté clinquant, et leur incapacité à produire quelque chose qui bénéficierait du minimum de sérieux requis.
Très clairement l'argument majeur du cas présent est concentré autour de la présence de Katy O'Brian, avec son physique d'athlète et son bagout qu'on sent un peu en retrait, bizarrement. Elle a une gueule et un tempérament qui semblent indiquer un potentiel largement inexploité ici, car limité à deux ou trois trucs — son attrait pour une compétition de culturisme qui ne mènera à rien, ses ages où elle pète un plomb et vire à la folie violente, et un petit trip surréaliste final sorti de nulle-part, pourquoi pas. J'ai le sentiment qu'il aurait été possible d'en tirer infiniment plus que cette relation bancale avec Kristen Stewart. En réalité toute la partie du scénario en lien avec la famille déglinguée (fille droguée aux stéroïdes, fille battue dans une relation toxique, père chtarbé qui règne en mafieux local [Ed Harris avec une belle coiffure improbable au milieu de toutes ces coiffures 80s]) est insipide, superficiel, et inefficace. On sent que beaucoup de curseurs sont poussés au maximum pour coller à une ambiance eighties avec des personnages barrés, mais cela ne sert pas à grand-chose s'il n'y a pas un substrat intéressant sur quoi faire tout reposer.
Vermines (2023)
1 h 46 min. Sortie : 27 décembre 2023. Épouvante-Horreur
Film de Sébastien Vaniček
Morrinson a mis 3/10.
Annotation :
Pas d'animosité particulière à l'encontre de cette série B horrifique de luxe qui n'exhibe pas des ambitions démesurées, en tous cas pas au-delà de cette façon systématique de survendre le cinéma de genre et a fortiori quand il s'agit pour le ciné made in de reproduire ce qui se fait aux États-Unis. Tout est dans les clous, comme traditionnellement : le scénario un peu con raconte une histoire improbable d'araignées mortelles capturées dans le désert africain puis importées en pour in fine, évidemment, s'échapper au terme d'une série d'invraisemblances toutes plus stupides les unes que les autres, la trame horrifique qui essaie (difficilement, sauf peut-être pour les arachnophobes) de construire une tension qui ne débouchera que sur le tout-venant de l'épouvante, c'est-à-dire un condensé de jumpscares et de cris aigus martelés (au bout d'un moment c'est un vrai mal au casque qui s'installe, c'est particulièrement pénible). Encore une fois ce n'est absolument pas un genre de cinéma contre lequel on a envie d'être condescendant ou méchant, et c'est en restant très terre-à-terre que je constate que ce sont toujours les mêmes ficelles qui sont employées, que ce soit dans la dramaturgie propre au cinéma horrifique ou bien dans l'habillage social pour le décor (quand bien même celui qui compose "Vermines" est moins bête que la moyenne). Pourtant je suis bon client en matière de survival, à partir du moment où ce n'est pas trop excessif... Mais ça n'a pas fonctionné, en mode survival choral où les habitants d'une cité doivent coopérer. Je n'ai absolument rien compris à l'évolution des araignées (ce n'est sans doute pas l'objet, mais c'est aussi le signe que je me suis ennuyé), l'habillage des dialogues et des musiques me laisse indifférent, et la métaphore sociale est pas vraiment ouf (surtout la dernière partie).
The Old Oak (2023)
1 h 53 min. Sortie : 25 octobre 2023 (). Drame
Film de Ken Loach
Morrinson a mis 4/10.
Annotation :
Il n'y a vraiment plus aucune surprise chez Ken Loach, c'est assez déprimant. Mis à part peut-être le sujet (et encore...), le programme qui sera déroulé est entièrement prévisible. Autour de la cristallisation d'un phénomène de société contemporain et peu glorieux (nationalisme rance, racisme puant, néolibéralisme débridé), deux camps se forment entre progressistes et réactionnaires, et on verra les uns et les autres œuvrer pour leur chapelle avec quelques transfuges de-ci de-là.
Le plus triste dans tout cela c'est que sur le papier tout fait sens : les thématiques abordées sont pertinentes en soi, le scénario décrit des comportements représentatifs de certains franges de la population, et Loach a recours à de nombreux acteurs non-professionnels histoire de renforcer la dimension réaliste de ses intrigues. Mais bon, à titre personnel il m'est impossible de regarder "The Old Oak" en faisant semblant de ne pas avoir déjà vu "Sorry We Missed You", et avant lui "I, Daniel Blake" : on n'est vraiment pas loin du copié-collé, en tous cas du point de vue méthodologique c'est rigoureusement identique. Le résultat est triste, puisqu'on sait exactement où le film nous emmène, il n'y a aucun intérêt (à mes yeux, encore une fois).
En marge du torrent de lieux communs et d'archétypes brassés sans se soucier de leur (immense) quantité, il y a régulièrement une petite scène incroyablement mal foutue, avec des comportements aberrants et des invraisemblances hallucinantes — ma préférée : une fille se fait mal en sport, une encadrante (réfugié syrienne) la raccompagne gentiment chez elle, et cette dernière se fait surprendre dans sa maison par la mère absente 30 secondes avant qui la chasse comme une malpropre. Illustration bête et pataude de la connerie humaine qui n'a aucun intérêt dans un plan de cinéma. Ce dernier film de Loach est ronflant, pas forcément misérabiliste mais en tous cas très caricatural et démonstratif alors qu'il pourrait se contenter de filer sa trajectoire empreinte de candeur sur un sujet qui fait sens. Et comme à chaque fois, une force mystérieuse m’empêche d’être méchant mais juste en matière de notation…
Model (1981)
2 h 09 min. Sortie : 7 octobre 1981 ().
Documentaire de Frederick Wiseman
Annotation :
Le sujet est assez triste dans le fond, mais Frederick Wiseman arrive malgré tout à en extraire la sève comique : dans "Model", le réalisateur américain scrute l'envers du décor d'une grande agence de mannequins newyorkaise et en révèle tous les détails (abominables, il faut le dire) de fonctionnement. Il lui suffit — enfin, on connaît la méthode Wiseman, on parle de centaines d'heures de rushes qui doivent être un cauchemar à couper et agencer en salle de montage... — de poser sa caméra dans les différents lieux et de laisser s'exprimer toute l'étendue de la vanité du milieu, autant dire sa culture profonde, en ant par différents sentiments : la violence des jugements, la domination du paraître, l'enfer des cadences, et la reproduction ad nauseam des stéréotypes sur les corps (féminins comme masculins).
Wiseman s'amuse à montrer le hiatus immense qu'il existe entre la vie normale, c'est-à-dire ce que l'on peut capter dans la rue et que l'on connaît tous, et la vie de ces agences qui clairement gravitent dans une autre galaxie. C'est un monde où une carrière se fait ou se défait en cinq minutes montre en main, une institution où l'on range immédiatement les personnes dans des cases (au sens figuré également, comme l'illustre magnifiquement cette gigantesque roue qui trône au centre des bureaux et qui contient l'intégralité des dossiers des mannequins de l'agence, objet fascinant) et où quelques centimètres en plus ou en moins vis-à-vis du standard attendu fera basculer un projet professionnel dans l'univers de la mode ou dans celui de la pub — "moins exigeant". Wiseman ne prend pas de pincettes et montre l'expression de cette violence inouïe dès les premières scènes, dans la sélection ou le rejet de candidates en un clin d'œil, avec une pléthore d'affirmations péremptoires sur leur physique qui les enferment dans un rôle aussi évident qu'inamovible en fonction de leur taille ou de leur degré de "sophistication".
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L'Arche de Noé (1928)
Noah's Ark
2 h 15 min. Sortie : 22 novembre 1929 (). Drame, Guerre
Film de Michael Curtiz
Morrinson a mis 3/10.
Annotation :
Pour son premier long-métrage en tant que réalisateur Michael Curtiz a voulu marquer les esprits (accompagné par Darryl F. Zanuck à l'écriture et à la production, avant que ce dernier ne soit le magnat que l'on connaît classiquement aujourd'hui) et ça se sent. Je ne sais pas comment est née cette idée improbable d'opérer un parallèle entre l'avènement de la Première Guerre mondiale et le récit biblique du déluge avec Noé et compagnie, mais ça ne tient pas la route un instant à mes yeux. Et ce ne sont pas les gigalitres d'eau utilisés pour figurer ladite scène de déluge en fin de film qui changeront quoi que ce soit à la lourdeur pachydermique de l'ensemble.
L'idée est naze et disgracieuse mais on peut comprendre l'intention, si l'on se place dans un cerveau américain des années 20 : la dernière guerre en mémoire a été la boucherie que l'on sait et une âme idéaliste pourrait appeler de ses vœux qu'il s'agisse de la dernière (raté les gars). Un peu de bigoterie à l'américaine peut trouver une évocation de cette horreur dans une autre horreur issue du mythe, et le tour est joué, voilà la grande guerre perçue comme une punition divine comme les événements vécus par Noé en son temps antédiluvien. Autant dire que tout est bancal dans "L'Arche de Noé", de l'alternance entre récit biblique et récit moderne à celle entre muet et parlant (un cinéma alors à ses balbutiements), le parallèle tour de Babel et veau d'or avec les traders fous corrompus par le culte de l'argent, etc.
On se souviendra bien sûr de la mise en scène du déluge avec sa horde de figurants (parmi lesquels figurent a priori John Wayne !) malmenés par la production et qui reçoivent des hectolitres d'eau sur la gueule pendant vraisemblablement un long moment. Il y aurait eu des morts sur le tournage, avec son cortège de blessés, c'est dire l'ambiance... En tous cas rien d'incontournable du point de vue du résultat, le discours résultant nage dans sa naïveté sur le thème "le bien triomphe du mal". Bref, Curtiz a voulu faire son Griffith et avoir son "Intolérance" à lui. C'est raté.
Ouistreham (2021)
1 h 46 min. Sortie : 12 janvier 2022. Drame
Film de Emmanuel Carrère
Morrinson a mis 5/10.
Annotation :
Le film de Emmanuel Carrère adapté du récit de Florence Aubenas paru en 2010 ne m'inspirait pas grand-chose de positif et Juliette Binoche dans le rôle principal de l'écrivaine en immersion dans le monde du travail précaire n'était pas vraiment pour me rassurer. C'est donc une certaine bonne surprise que de voir "Ouistreham" exposer de manière sincère les conditions de travail merdiques d'une équipe de femmes de ménage (même si le contenu est plus probant vis-à-vis de tout ce qui tourne autour, les formations, les galères contextuelles, les humiliations, que du métier à proprement parler qui ne sera pas vraiment attaqué de front), avec un intérêt supplémentaire qui pointera le bout de son nez lors du dernier temps, quand bien même il serait amené maladroitement et abruptement. Cette dernière image est assez forte je trouve, parce qu'elle va dans une certaine mesure à l'encontre de tout ce que le film semblait prétendre, à savoir que cette écrivaine appartenant à la classe bourgeoise supérieure pourrait très bien s'intégrer à ce milieu populaire par excellence. Eh bien non, le film a le mérite de le rappeler, un peu durement : pour l'écrivaine, c'est une sorte de jeu, aussi sincère et bien soit-il, mais pour les autres, ses anciennes collègues, la machine ne s'arrêtera probablement jamais. Ce constat est sombre, il est dur et amer, mais je le trouve intéressant et bienvenu. C'est donc plus dans l'étanchéité entre milieux sociaux que "Ouistreham" se fait pertinent que dans la multiplication de vignettes illustratives. Dans le questionnement de la place du registre artistique si on l'oppose à la réalité des statuts défendus (jusqu'où ce jeu reste-t-il correct ?) que dans la forme relativement sage que le film revêt pour raconter le travail de l'écrivaine. Au age, Binoche au milieu des actrices non-professionnelles, c'est une réussite, et quelques-unes d'entre elles sont franchement très convaincantes jusque dans la dénonciation de l'imposture d'un prétendu égalitarisme possible entre star et prolétaire.