Couronné par la critique et le public, le Docteur Jivago se place comme une grande saga historique ayant pour toile de fond la Russie à l'aube du communisme. Avec David Lean, on est pratiquement sûr de voir l'écran respirer avec de nombreux figurants et de grandes scènes, marquant ainsi un des derniers sursauts du grand cinéma hollywoodien du temps des studios. Adapté du roman de Boris Pasternak qui reçut le prix Nobel en 1958, le film produit par Carlo Ponti pour la MGM, rejoignit au panthéon du studio Ben-Hur et Autant en emporte le vent. Le cinéma de Lean a ceci de particulier qu'il est efficace, carré et exécuté sans fioritures, en utilisant souvent des moyens grandioses.
Mais le film est avant tout l'histoire d'un amour, celui d'une femme mythique, Lara dont le charme fascine ce jeune médecin Yuri Jivago. Ils se marient chacun de leur côté, ce qui permet à ce couple de héros d'être baladés dans des lieux et des situations où ils se retrouvent sans cesse pour mieux se requitter, c'est le cheminement et le destin de ce couple ballotté par les événements qui les rapprochent ou les séparent. Tout en recréant l'atmosphère de la révolution russe, Lean a opté pour le côté romanesque, privilégiant ce couple formé par Yuri et Lara, refusant de porter un véritable jugement sur le contexte historique ou sur l'attitude morale de certains protagonistes ; il ne juge ni n'absout, comme si chacun des héros du film avait été incapable d'échapper de lui-même à la tourmente de la révolution.
Film fleuve, avec parfois quelques inévitables longueurs et une intrigue qui se traîne un peu, le Docteur Jivago bénéficie d'une belle reconstitution par ses décors et son contexte, d'un beau casting, offrant à Omar Sharif un rôle très riche et généreux, et contient quelques moments splendides comme les scènes de la maison Varykino tout en glace, sorte de demeure hors du temps et loin des conflits extérieurs, le tout enveloppé par l'inoubliable ritournelle récurrente de Lara composée par Maurice Jarre. Le personnage de Lara permet aussi à Julie Christie une interprétation parfois bouleversante, alors que le rôle était au départ prévu pour Sophia Loren, épouse de Carlo Ponti. C'est donc un monument du cinéma pour lequel il faut s'armer de courage face à ses 3h20 de projection, et qui ne figure pas parmi mes films préférés de Lean, mais qui mérite largement d'être vu.