Décrépitude industrielle

Seven est le premier film de Fincher. Son Alien 3 est celui des studios, il le renie et classe l'affaire. L'ancien publicitaire s'oriente alors vers un projet un peu plus modeste (le budget e de 50 à 30 millions de $) qui va devenir le maître-étalon du thriller, imprégnant le genre bien plus profondément encore que Saw neuf ans plus tard (2004). Le film raconte la traque d'un tueur en série conceptuel, basant une série de meurtres pour punir la transgression des sept péchés capitaux. Fincher reprend le procédé classique du cinéma d'action des années 1980 en réunissant un tandem dépareillé en guise de flics en charge du dossier ; mais le buddy-movie est loin, l'union pas tout à fait triomphante.


Cas ambigu. Compte tenu de ses répercussions, Seven ne peut pas être approché de façon neutre. Il est le fer de lance d'un renouveau du thriller, beaucoup plus frontal et focalisé sur la figure du serial killer : il est rétrospectivement conformiste. Et il est surtout un film opportuniste. Seven est un catalyseur plus qu'une pure création, ses codes ne sont pas neufs. De plus, il arrive quatre ans après Le Silence des Agneaux, celui-là ayant également une influence considérable mais moindre, avec une identité moins sommaire, aucunement dissoluble. Et surtout, visuellement y compris, ce n'est pas un film contemporain. C'est justement là qu'est toute la force de Seven et de son propos : c'est un film profondément moderne.


Sur le plan psychologique, la séance est moins intense, mais sur le plan philosophique, Seven est un spectacle ionnant. Il est le témoin du nihilisme de son temps et de sa civilisation, ée au-delà du doute et du désenchantement, pour les consommer dans l'indifférence. Avec ce 'premier' film, donc, Fincher atteint déjà l'un de ses climax en terme de représentation de la face sombre de la société américaine. Il ne s'en prend pas à ses mythes comme d'autres l'ont fait, mais bien à son présent, s'enracine dans le quotidien et les images actuelles. À la richesse, il préfère la précision et la radicalité, touchant sa cible de façon directe, cinglante, abstraite mais évidente (s'il est racoleur c'est par cohérence). Dans Seven, le monde est présenté comme particulièrement décrépit ; l'apathie et le dégoût ont gagnés.


L'esthétique du film valide le discours du tueur. De même, le personnage de Morgan Freeman, vieux flic taciturne et blasé au bord de la retraite, est relativement perméable à la représentation du monde que se fait le tueur, comprend d'autant mieux ses plans et motivations, sans toutefois identifier nécessairement leur source et surtout sans avoir sa vigueur. Freeman est trop fatigué pour être révolté, le tueur trop isolé pour accepter la corruption. Le serial killer de Seven n'est pas tant le simple 'produit' de son époque, c'est surtout une réaction. Or toute la société pourrait comme lui entrer en réaction face à l'état des lieux. Seules les forces d'inertie peuvent contenir la décadence et freiner la réaction, mais elles ne font que couver les frustrations et les égarements, maintenant un équilibre jusqu'à laisser la nausée gagner partout.


Nous sommes donc dans Sodome & Gomorrhe pour John Doe ; pour Fincher et Kevin Walker (scénariste) et pour William Somerset (Freeman), c'est une idée qui se défend largement et contre laquelle ils n'ont rien à opposer, pas plus qu'ils ne sont armés (ne serait-ce que de l'élan nécessaire) pour la contrer. John Doe vient inséminer le poison final, remède (destructeur – donc 'nihiliste' mais de façon circonstancielle) à ce monde nihiliste. Et le spectateur horrifié par ses exactions (car le film va loin) est troublé par ses laïus. Sa morale d'illuminé est peut-être banale : elle l'est effectivement, elle va chercher directement dans les profondeurs les plus grassement manifestes et cadenassées, mettant en relief les contradictions et les résignations de l'époque. L'ambiance dépressive est relayée par le style visuel typique de Fincher, d'une originalité et d'une élégance inaltérables, dans ses tons les plus crépusculaires.


Autres films de Fincher :
http://senscritique.voiranime.info/film/Gone_Girl/critique/43294031


https://zogarok.wordpress.com/2015/02/16/seven/

8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films de descente aux enfers

Créée

le 15 févr. 2015

Critique lue 1.9K fois

9 j'aime

Zogarok

Écrit par

Critique lue 1.9K fois

9

D'autres avis sur Seven

Le sang coule dans Seven

Edit: Notez la subtilité du titre, que tout le monde n'a pas remarqué, apparemment. Chère lectrice, cher lecteur, si tu n'as pas vu Seven, je te déconseille de lire ce qui va suivre. Ce film mérite...

Par

le 7 févr. 2015

166 j'aime

30

Merci.

Le plus étonnant c'est qu'il suffisait de réfléchir un instant, de ne pas jeter ton flingue mon bon Somerset, pour qu'aujourd'hui je ne sois pas éternel. Enfin pas vraiment moi, mon œuvre. C'était...

le 30 juil. 2013

157 j'aime

15

Critique de Seven par drélium

Avec spoilers. Je me souviens encore sortir du cinéma en 96 violemment claqué de façon inédite, pas une claque usuelle. Ce film était oppressant, suintant, dégoulinant, désagréable, répulsif et...

Par

le 8 mars 2013

142 j'aime

39

Du même critique

Kirikou et la Sorcière
10

Le pacificateur

C’est la métamorphose d’un nain intrépide, héros à contre-courant demandant au méchant de l’histoire pourquoi il s’obstine à camper cette position. Né par sa propre volonté et détenant déjà l’usage...

Par

le 11 févr. 2015

49 j'aime

4

Mysticisme folklo

L‘une des meilleures comédies françaises de tous les temps. Pas la plus légère, mais efficace et imaginative. Les Visiteurs a rassemblé près de 14 millions de spectateurs en salles en 1993,...

Par

le 8 déc. 2014

31 j'aime

2