Adieu jours de débauche et de libertés entre les îles enchanteresses
Pour plusieurs raisons Porco Rosso est un Miyazaki appart et peut-être l'un des plus réussis. Il s'intègre dans un contexte politique et historique d'entre deux-guerres, la montée du fascisme en Italie, l'instabilité de la démocratie et des frontières en Europe. Si le grand manitou de Ghibli s'est par la suite réessayé à un tel exercice politico-poétique avec "le château ambulant" ce fut pour un résultat bien plus bancal et moins abouti.
C'est donc en enrobant le sérieux de légèreté que le film réussit cette pirouette. Un univers idyllique d'archipels et d'extravagants hydravions de combats, des pirates benêts et un porc virevoltant. On sort radicalement de la toile fantastico-japonaise habituelle souvent empreinte de personnages enfantins et de cadres sylvestres.
J'ai retrouvé cette sensation que je n'avais connu qu'avec Totoro, celle qui te dit que ce film ne sait pas lui même où il s'en va. Je m'explique, dans la plupart des autres Miyazaki, chaque héros développe une histoire, avec un but précis ou du moins poursuit une motivation particulière ( Mononoké veut sauver la forêt, Chihiro ses parents, Nausicaa son village, Pazu veut trouver Laputa..etc). Ici on a d'avantage l'impression de vivre dans un open world (oui j'ai osé comparé Porco Rosso à un jeu vidéo) où le cochon vole un peu où ça lui chante sans trop de contraintes spatiales ou scénaristiques. La rivalité avec Curtis n'est clairement pas la colonne vertébrale de l'oeuvre et on s'oriente simplement avec quelques repères comme sa plage secrète ou le restaurant de Gina. Finalement l'exercice est parfaitement maîtrisé puisque cette liberté prise par le réalisateur et le héros, ils nous la transmette et on se laisse aisément entraîner à l'arrière de son coucou rouge, dans lequel on le devine très vite, rien ne peut nous atteindre.
"-Mais c'est une femme ?
- Oui, et alors ? La moitié des hommes sont des femmes !"
Dans Porco Rosso les femmes sont présentées comme forte, vigoureuses et caractérielles. Des inépuisables vieilles manufacturières, à la jeune et dynamique Fiona, Elles doivent travailler plus pour se faire une place dans un monde d'homme.
Un monde d'homme dont ne fait plus parti Marco (Porco), victime d'une malédiction dont on ne connaît rien. Le personnage est complet parce qu’il sait aussi cultiver une part de mystère qui ne nous sera jamais livrée. Mais si Marco est devenu Porco, ce n'est pas le fruit d'une mauvaise aventure mais plutôt d'une perte de confiance en l'homme en général. On retrouve ce sentiment d'injustice et sans doute de dégoût envers le genre humain quand il relate au début ces guerres et ces combats où il a perdu tous ses proches, mais aussi quand il assiste à la montée du fascisme "Je préfère encore être un cochon décadent plutôt qu'un fasciste." Initialement la producteur Toshio Suzuki avait même l'intention d'écrire sur l'affiche du film: « l’histoire d’un homme qui s’est jeté un sort et est devenu cochon ».
Un choix finalement payant car le personnage de Porco tire une grande partie de son aura dans sa discrétion et sa sobriété ( quoique souvent avec une bouteille de vin sous le coude), cicatrice d'un lourd é gardé sous silence. La VF est par ailleurs très réussie, le timbre de voix de Jean Reno taille une impression de vécu chez Porco et lui confère un espèce de charisme calme et assuré. Seul point négatif à la VF, quelques traductions déformées comme cette toute dernière phrase: « Porco n’a jamais donné signe de vie » alors qu'une traduction plus fidèle à l'originale eut-été: « Porco n’est plus jamais revenu montrer sa figure ». Une variante qui laisse d'avantage la place à l'interprétation d'une fin heureuse et rêveuse. Fio a t-elle sut lui redonner la foi qu'il avait perdu et levé cette malédiction? On peut penser que oui, sur la toute dernière séquence post-générique, quand des années après Fio survole le restaurant aux commandes de son Piccolo, on aperçoit l'avion écarlate de Marco amarré au dock privé de Gina.
Alors non à mes yeux Porco Rosso n'est pas le meilleur des Miyazaki (un classement ô combien populaire sur SC) car il est incomparable aux autres monuments de Ghibli. C'est un moment de détente et d'émerveillement, de rêve et de mélancolie, de sérénité et de nostalgie. On s'évade à la poursuite d'une prime déjà acquise, aux cotés d'une pilote déjà légendaire, à travers une aventure déjà captivante. Miyazaki adore ses étranges machines volantes, l'Italie et les cochons. C'est donc avec une grande générosité qu'il envoie un goret conquérir ciel et mer pour devenir le roi de l'Adriatique.