La présentation du protagoniste de l’arnaqueur est d’une belle ambiguïté : feignant d’être un joueur du dimanche ayant un peu abusé de la bouteille, Eddie fait monter les enchères sur des paris au billard avant de révéler l’étendue pleine et entière de son talent. Il s’agit donc bien d’un arnaqueur (hustler), qui domine non seulement la partie, mais en fausse les débuts par un bluff roublard.
Outre le plaisir d’un tel retournement, cette séquence a l’intelligence malicieuse d’être un écho inversé de ce qui va suivre : plutôt que le faux mauvais qui se révèle génial, Eddie va surtout être le virtuose qui se plante : en affrontant des adversaires à sa mesure, il surenchérit jusqu’à tout perdre, avant qu’un mentor presque aussi ambigu que lui ne lui explique la différence fondamentale entre le talent et le tempérament.
L’arnaqueur est donc un récit ambitieux dans son exploration de la psyché des personnages : Paul Newman qu’on sait à l’aise pour jouer les héros torturés (qu’on pense au Gaucher de Penn, trois ans plus tôt), prend plaisir à entrainer à sa suite le nombre restreint de personnes qui tentent de le suivre : un coach, et une femme, buveuse patentée qui porte un regard lucide sur leur couple : « we have a contract of depravation ».
A grand renfort d’un jazz mélancolique, Robert Rossen enferme ses personnages dans des intérieurs à l’éclairage artificiel, par une photographie brillante et fausse comme les parties qui se jouent. Les personnages sont distribués avec rigidité dans l’espace, comme sur une scène de théâtre où chacun a pleinement conscience de son rôle. Fondées sur la durée, les parties s’éternisent et jouent sur l’épuisement des participants, thème qui renvoie à la destinée générale d’Eddie et de sa compagne. Celle-ci, dans une volonté de rédemption, tente de s’extraire d’un milieu toxique dont la finalité consiste à essorer les individus, alors que son compagnon, ivre de revanche, est incapable d’une telle initiative.
C’est là la réussite du film : déer la simple performance du virtuose pour montrer comme le jeu et le pari est de l’ordre de l’addiction toxique. L’initiation de Bert (George C. Scott, intense et autoritaire) n’est finalement qu’un pas supplémentaire dans la déshumanisation, et le code traditionnel du film de compétition se voit contaminé par des thématiques proches du film noir.
Le film n’en est pas moins maladroit sur certains aspects : un peu long, mais surtout très démonstratif dans des séquences répétitives qui ont tendance à faire surjouer les personnages. Le personnage de Sarah concentre pas mal de ces défauts, et l’on a du mal à suivre sa rédemption express et la façon elle aussi très rapide de sombrer. De la même manière, la leçon de morale finale (« you’re a loser cause you’re dead inisde ») n’est pas particulièrement subtile.
Écart étrange : dans une atmosphère aussi retorse que celle du jeu, dans laquelle le bluff est une composante déterminante, le réalisateur et son scénaristes auraient pu davantage opter pour l’implicite.
(6.5/10)