Le premier long métrage de Mann est un téléfilm, qui mérite pourtant qu’on s’y attarde. Car s’il n’est pas encore empreint de tout ce qui fera l’univers spécifique du réalisateur, il est tout simplement un beau film.
On peut néanmoins comprendre ce qui a pu retenir l’attention du cinéaste : le personnage dont il fait le portrait est une de ces figures de loner qu’il affectionne particulièrement. Condamné à perpétuité pour parricide, il a refusé toute illusion : pas de visite, pas d’attente, il purge. La seule concession faite à son incarcération est la course, qu’il pratique en forcené, à l’intérieur de la cour de Folsom, jusqu’à attirer l’attention des instances sportives qui voient en lui un athlète d’exception.
La réussite du film tient autant dans son intrigue à la symbolique assez intéressante, celle de l’évasion immatérielle (à l’image de la pratique du théâtre pour les détenus dans César doit mourir des frères Taviani) que dans la description quasi documentaire d’un milieu. Mann s’attarde sur les portraits, et varie les échelles entre les gros plans (en insistant notamment sur l’amitié touchante entre Larry et un codétenu noir, complémentaire dans son désir de voir sa femme et sa fille) et les plans d’ensemble sur les communautés ethniques. Sur une rythmique qui rappelle furieusement le Sympathy for the devil des Stones, la course suit son cours et entraîne dans son sillage l’ensemble de la structure, qui finit par construire une piste de course pour homologuer les performances de l’athlète. Celui-ci, plutôt imible, commence par assister de loin à tout ce qu’il fédère, peu réceptif aux sollicitations :
-How do you train ?
-I don’t. I just run .
Mais c’est bien par cette intrusion extérieure que viendra une part de sa rédemption. A nouveau, Mann laisse le temps aux dialogues, comme il le fera par la suite dans Le Solitaire ou Sixième sens : avec son ami, son entraîneur ou son psy, Larry se voir forcé à communiquer. Ce sera la même chose face aux antagonistes, le détenu déchaînant les malentendus à force de se faire remarquer malgré lui, et prouvant lors d’une poignante scène de tabassage son amitié indéfectible. Et la grande intelligence du script est de ne pas transformer cette métamorphose en légende à l’américaine, préférant la destinée individuelle à une héroïsation sportive.
Toute la modestie du téléfilm prend ici son sens : pudique, authentique, attachant, crédible, Jericho Mile ne fait pas s’effondrer les murailles, mais atteint les cœurs.
(7.5/10)
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